La Russie vit sous le régime de la terreur. Certes, les goulags ne sont pas réapparus, des peuples entiers ne sont pas décimés. Cette terreur-là n'est plus possible. Une autre, plus subtile, plus insidieuse, s'installe chaque jour dans une certaine indifférence. Elle frappe les journalistes, ceux qui ont les moyens d'exposer les scandales de la nouvelle autocratie. Et cette autocratie a décidé d'intimider ses dénonciateurs et de les tuer.

La Russie vit sous le régime de la terreur. Certes, les goulags ne sont pas réapparus, des peuples entiers ne sont pas décimés. Cette terreur-là n'est plus possible. Une autre, plus subtile, plus insidieuse, s'installe chaque jour dans une certaine indifférence. Elle frappe les journalistes, ceux qui ont les moyens d'exposer les scandales de la nouvelle autocratie. Et cette autocratie a décidé d'intimider ses dénonciateurs et de les tuer.

La semaine dernière, un journaliste a été sauvagement battu en représailles contre des reportages récents. Les agresseurs ne se sont pas contentés de lui fendre le crâne et de lui briser les jambes. Ils avaient un message très clair à transmettre à la victime et à ses confrères: ils lui ont écrasé les doigts. Ce journaliste n'est pas mort, du moins pas encore. Il est dans le coma.

Selon le Comité pour la protection des journalistes, basé à New York, 19 meurtres de journalistes commis depuis 10 ans en Russie n'ont pas été élucidés. C'est le silence complet. La justice peine à faire son travail. Elle est complice du pouvoir ou elle a peur. D'ailleurs, la grande majorité des journalistes russes marche au pas et les espaces de liberté se rétrécissent comme peau de chagrin. La télévision est sous la coupe du Kremlin et peu de grands quotidiens osent défier le régime. La Russie occupe le 140e rang du classement de la liberté de presse établi par Reporters sans frontières. C'est tout dire.

Le président Dmitri Medvedev avait pourtant promis de changer le visage et les moeurs de la Russie lors de son accession au pouvoir en 2008. Jeune juriste, représentant, dit-on, de l'aile libérale et moderniste de la nouvelle nomenklatura, le président tente de se démarquer de son encombrant premier ministre et prédécesseur, l'incontournable Vladimir Poutine.

L'an dernier, il n'a pas hésité à dénoncer les tares politiques et économiques affligeant le pays. Selon lui, les réformes ne seront possibles que si un État de droit s'installe dans le pays. Et la pierre sur laquelle doit reposer cet édifice est l'existence d'un système judiciaire indépendant et efficace. «La liberté est au coeur de toute chose. Je veux que l'on obéisse à la loi, mais pas à la loi des esclaves», a dit le président.

On est pourtant en droit de se demander si un homme, choisi par son prédécesseur, est en mesure de changer un système mis en place par celui-ci. Poutine s'est imposé comme premier ministre et tire les ficelles. Le président Medvedev ne fait pas le poids face à un Poutine sans gêne visiblement satisfait de l'effet qu'il produit lorsque les médias publient des photos de lui torse nu et bien en selle sur un cheval.  

Medvedev apparaît plutôt comme le visage plaisant d'un régime qui consolide son emprise sur toute la société. Et tout indique qu'il n'aura été qu'un intermède entre deux règnes de Poutine dont tout laisse croire qu'il veut se représenter à la prochaine élection présidentielle. Après les années Gorbatchev et Eltsine, marquées par la liberté, mais aussi par le chaos et l'effondrement économique, Poutine s'est tourné vers le modèle chinois et sa devise implicite : enrichissez-vous et ne contestez pas l'ordre politique. Medvedev n'a sans doute pas le choix de suivre.

À quelques exceptions près, ce choix semble entériné par une majorité de la population plutôt soucieuse de gagner sa vie que de défiler dans les rues. C'est comme si les ratés de la démocratisation des années 80 et 90 avaient laissé un goût amer aux Russes. Ce temps-là, il est vrai, a vu de nombreux réformateurs et démocrates profiter de la situation pour s'enrichir. Comment croire en un avenir meilleur alors que le tandem Poutine-Medvedev affiche un bilan économique respectable dans les conditions actuelles?

D'autres journalistes risquent encore de mourir avant que quelque chose ne change vraiment dans ce pays.