À pareille date l'an dernier, la Commission des droits de la personne affirmait dans un rapport qu'infliger «une peine d'emprisonnement aux personnes en situation d'itinérance pour cause de non-paiement d'amende, sans tenir compte de leur capacité de payer, a un effet discriminatoire en vertu de l'article 10 de la Charte québécoise».

À pareille date l'an dernier, la Commission des droits de la personne affirmait dans un rapport qu'infliger «une peine d'emprisonnement aux personnes en situation d'itinérance pour cause de non-paiement d'amende, sans tenir compte de leur capacité de payer, a un effet discriminatoire en vertu de l'article 10 de la Charte québécoise».

Tout comme le Barreau du Québec, la commission recommandait une modification au Code de procédure pénale afin d'éliminer cette mesure discriminatoire. Un an plus tard, l'emprisonnement pour non-paiement d'amendes est toujours en vigueur... et toujours aussi discriminatoire et ravageur.

Phil en sait quelque chose. Il a arpenté les rues et les parcs de la ville de Québec avant d'élire domicile à Montréal. Son mode de vie et son gagne-pain, le «squeegee», lui ont occasionné, à l'époque, une multitude de constats d'infractions (tickets). Sa dette judiciaire - soit la somme des amendes recueillies pour avoir «traité avec l'occupant d'un véhicule» (squeegee) ou pour autres infractions mineures à des règlements municipaux - s'élève à plus de 35 000 $.  

Pour chaque infraction à laquelle il a été trouvé coupable, la plupart du temps par défaut, il s'est vu imposer une amende minimale de plusieurs dizaines de dollars. Faute d'avoir été payées dans les temps requis, ces amendes ont été bonifiées au fil du temps et se sont transformées en mandats d'emprisonnement.

Au total, ce sont 680 jours de prison qui attendent Phil. Il risque ainsi de passer près de deux ans en prison, simplement pour avoir dormi dans des parcs et avoir lavé des pare-brises!

Contrairement au Code criminel, qui régit pourtant des comportements beaucoup plus menaçants pour l'ordre et la sécurité publique, les dispositions relatives à l'emprisonnement pour non-paiement d'amendes du Code de procédure pénale ne prévoient en rien l'examen de la capacité de payer du défendeur.  

Le Code criminel prévoit un mécanisme obligeant le juge à s'assurer que le défendeur n'a pas d'excuses raisonnables de refuser de payer l'amende, alors que le Code de procédure pénale autorise le juge à délivrer un mandat d'emprisonnement même en l'absence du défendeur. Un juge peut donc ordonner l'emprisonnement d'une personne qu'il n'a jamais vue et surtout jamais entendue!

En 2003, voulant réduire la population carcérale, le législateur a aboli l'emprisonnement pour non-paiement d'amendes pour les  infractions au Code de la sécurité routière ou de stationnement. Seules les personnes refusant délibérément de payer ces amendes peuvent dorénavant se voir incarcérées. Or, en raison d'une «application disproportionnée des règlements municipaux à l'encontre de la population itinérante», telle que l'a reconnu la Commission des droits de la personne en 2009, les personnes itinérantes sont encore emprisonnées faute d'avoir défrayé le montant de leurs amendes. Elles ne bénéficient donc pas de cette clémence du législateur.

Selon la professeure Céline Bellot, ce sont 72% des constats d'infraction remis aux personnes en situation d'itinérance qui se transforment par la suite en mandat d'emprisonnement pour non-paiement d'amende, et ce, en moyenne quatre ans après la commission de l'infraction.  

Il n'est pas rare de voir des gens sortis de la rue soudainement tout perdre (nouveau logement, nouvel emploi) et revenir à la case départ en raison de l'exécution de mandats d'emprisonnement pour non-paiement d'amendes.  

Il est vrai que depuis quelques années, la Ville de Montréal a suspendu la délivrance de tels mandats sur son territoire. Or le moratoire sur l'émission de mandat d'emprisonnement pour non-paiement d'amendes pourrait être levé à  tout moment. Du reste, on procède encore ailleurs au Québec à la délivrance de mandats d'emprisonnement pour des amendes impayées.

Parce que la remise de constats d'infraction susceptible de mener à l'incarcération de personnes itinérantes constitue, à notre avis, de la discrimination sur la base de la condition sociale, il est impératif que les dispositions menant à l'emprisonnement pour non-paiement d'amende soient abolies.