La seconde condamnation du fameux oligarque russe Mikhaïl Khodorkovski le 27 décembre a été mise en relief dans les médias internationaux comme une parodie de justice. Elle en était certainement une. Mais dans quel sens?

La seconde condamnation du fameux oligarque russe Mikhaïl Khodorkovski le 27 décembre a été mise en relief dans les médias internationaux comme une parodie de justice. Elle en était certainement une. Mais dans quel sens?

Un déni de justice s'entend souvent comme la condamnation d'un innocent. Mais en matière de délits économiques, et de détournements de fonds, Khodorkovski est loin d'être un innocent.

La parodie de justice tient à ce que celle-ci s'abatte sur lui, alors qu'elle en laisse courir des dizaines d'autres coupables de délits souvent beaucoup plus importants. Les médias attribuent ses ennuis, qui ont commencé en 2003, au fait qu'il aurait envisagé de se porter candidat à une élection présidentielle. Les enjeux étaient beaucoup plus larges que cela.

Peu après son accession à la présidence en 2000, Vladimir Poutine a tenu une réunion avec les principaux oligarques qui lui ont alors demandé de décréter une amnistie générale sur les conditions dans lesquelles s'était faite la privatisation des biens et ressources les plus rentables de l'État à l'époque de Boris Eltsine. Khodorkovski avait acquis en 1995 la pétrolière Yukos pour une somme ridicule de 300 millions de dollars. Elle en valait en fait plusieurs milliards, jusqu'à 27 milliards en 2003.

Tout en s'engageant à ne pas remettre en cause les privatisations, Poutine a refusé l'amnistie demandée. Ancien chef des services de sécurité de la Russie postsoviétique, il disposait sur tous les oligarques de dossiers volumineux qu'il entendait tenir en réserve contre eux en leur demandant de cesser d'intervenir dans les affaires de l'État. Des pans entiers de divers appareils de l'État étaient pratiquement au service de l'un ou l'autre des oligarques.

En 2003, quelques mois avant son arrestation, Khodorkovski s'apprêtait à acquérir une autre pétrolière russe, Sibneft, dont la fusion avec Youkos aurait fait de celle-ci la première pétrolière de Russie et la quatrième plus importante au monde. Qui plus est, il envisageait la vente de 40% des actions de Youkos à Exxon-Mobil et Texaco-Chevron, presque une prise de contrôle américaine. Ce fut là la «faute» principale de Khodorkovski.

En effet, ses projets intervenaient à un moment où Poutine commençait à rétablir le contrôle de l'État sur le pétrole comme sur l'ensemble des ressources énergétiques colossales de la Russie (aux prix en hausse constante) dont il entendait faire le moteur de son redressement économique.

À l'été 2003, dans un signal clair envoyé par le pouvoir à Khodorkovski, le numéro deux de Youkos, Platon Lebedev était emprisonné. Deux autres oligarques récalcitrants, Vladimir Gouzinski et Boris Berezovski, avaient jugé bon de partir ou de rester à l'étranger. Courageux ou téméraire, Khodorkovski, qui se trouvait alors aux États-Unis, décida de rentrer à Moscou.

Fort de sa fortune gigantesque et misant sur ses appuis en Russie et sur un puissant lobby qu'il avait mis en place aux États-Unis, il s'estima capable de se mesurer à Poutine. Celui-ci y voyant le principal défi de sa carrière, Khodorkovski a été arrêté trois mois plus tard sous l'inculpation principale de fraude fiscale massive. Dans une renationalisation qui ne voulait pas dire ouvertement son nom, Youkos fut saisie et vendue ensuite à Rosneft, pétrolière d'État.

Le nouveau procès et la sentence infligée en décembre 2010 à l'ex-oligarque ruiné, dont la première peine arrivait à terme, tiennent à des considérations politiques plus étroites et à une vindicte personnelle de Poutine.

Ses adversaires affirment qu'il ne voulait pas voir Khodorkovski en liberté lors des échéances électorales russes de 2012... (?) L'issue du procès apparaît aussi comme un camouflet à son successeur Dmitri Medvedev qui prêche le renforcement de l'indépendance des tribunaux et qui a même critiqué son prédécesseur pour avoir affirmé publiquement avant la fin du procès que la place de Khodorkovski était en prison.