Il y a quelques jours, quatre membres de la communauté sikhe, qui portaient un kirpan, n'ont pu avoir accès au parlement québécois pour des motifs de sécurité. Ironiquement, ils s'étaient rendus à Québec pour témoigner sur le projet de loi 94, portant sur... les accommodements raisonnables.

Il y a quelques jours, quatre membres de la communauté sikhe, qui portaient un kirpan, n'ont pu avoir accès au parlement québécois pour des motifs de sécurité. Ironiquement, ils s'étaient rendus à Québec pour témoigner sur le projet de loi 94, portant sur... les accommodements raisonnables.

Cet incident nous rappelle à quel point les accommodements raisonnables sont devenus suspects au Québec et sont de plus en plus perçus comme une dérogation inacceptable aux normes sociales établies.

Même des partis de centre-gauche et censément sociodémocrate comme le Bloc québécois et le Parti québécois, qui devraient normalement être plus sympathiques aux droits et revendications des minorités que les partis de droite ou de centre-droite, émettent de nos jours d'importantes réserves par rapport aux accommodements raisonnables, lorsqu'ils ne les pourfendent pas carrément.

À preuve, le Parti québécois a applaudi à la décision de la sécurité de l'Assemblée nationale. Quant au Bloc québécois, il va jusqu'à réclamer l'interdiction du kirpan au parlement fédéral, où il est toléré jusqu'à présent.   

Depuis quelques mois, le projet de loi 94 fait l'objet d'une consultation générale et d'auditions publiques. Il prévoit notamment que tout membre du personnel de l'administration gouvernementale ou d'un établissement désigné doit avoir le visage découvert lors de la prestation de services. Le projet de loi rend aussi la même règle applicable aux personnes à qui des services sont fournis par cette administration ou cet établissement.

Le projet de loi ajoute que tout accommodement, impliquant un aménagement à de telles pratiques, doit être refusé si des motifs liés à la sécurité, à la communication ou à l'identification le justifient.

En commission parlementaire, certains citoyens ou groupes ont reproché à ce projet de loi d'aller à l'encontre de la liberté de religion. D'autres estiment au contraire qu'il ne va pas assez loin et qu'on devrait au surplus interdire le port de tout symbole religieux de la part des employés des secteurs publics et parapublics, lorsqu'ils exercent leurs fonctions. D'autres encore souhaiteraient qu'on interdise à toute personne d'avoir le visage voilé sur la place publique ou dans un endroit public, et ce, en tout temps et en toutes circonstances, même lorsque la personne en question n'est pas en train d'obtenir un service de la part de l'État.

Je crois que le projet de loi 94 est un bon compromis entre la liberté de religion d'une part, et les exigences de la vie sociale ou les conditions minimales du vivre-ensemble d'autre part. Car, ne nous leurrons pas, ce n'est pas tant la sécurité qui est cause dans cette interdiction de voiler son visage, que le désir, non avoué, de ne pas heurter cette grande partie de la population qui en a ras-le-bol de ces accommodements qui, mis ensemble, lui font craindre de ne plus se reconnaître dans sa propre société.  

Cela dit, je ne suis pas insensible aux arguments de ceux qui voudraient qu'on interdise aux employés de l'État le port de tout symbole religieux. Je crains cependant que, si on devait aller dans ce sens, on éloigne encore plus de la fonction publique québécoise les membres de certaines communautés culturelles qui y sont déjà sous-représentées.

De plus, je ne crois pas qu'on doive se lancer dans une chasse aux sorcières qui nous ferait pointer du doigt les quelques rares fonctionnaires (y en a-t-il?) qui portent des symboles religieux et qui sont en contact direct, au niveau de la prestation des services, avec les administrés que nous sommes.

La laïcité de l'État peut être fermée ou ouverte, c'est-à-dire qu'elle peut être très prohibitive ou plus modérée. Pour le moment, à défaut d'une preuve démontrant qu'elle nuit à la cohésion de la société québécoise, je préfère nettement la laïcité ouverte à la laïcité fermée. Après tout, ne serait-il pas paradoxal que la laïcité de l'État soit abordée de façon tellement obtuse qu'elle en devienne... sacro-sainte.