Au moment où des millions d'Égyptiens viennent de forcer le président Hosni Moubarak à annoncer son départ, on peut se demander si le peuple pourra aussi obtenir la fin de son régime. Terminer son mandat, comme le président égyptien l'indique, peut cacher l'organisation d'une élection au profit de son système.

Au moment où des millions d'Égyptiens viennent de forcer le président Hosni Moubarak à annoncer son départ, on peut se demander si le peuple pourra aussi obtenir la fin de son régime. Terminer son mandat, comme le président égyptien l'indique, peut cacher l'organisation d'une élection au profit de son système.

Dans le passé, jamais les forces d'opposition n'ont réussi à se fédérer autour d'une personnalité connue afin d'affronter Moubarak. Depuis quelques jours pourtant, une figure émerge: celle de Mohamed ElBaradei. Il serait l'homme providentiel, du moins dans l'esprit des médias et des experts occidentaux. En fait, s'il est appelé à jouer un rôle, celui-ci pourrait n'être que temporaire.

Mohamed ElBaradei est un de ces diplomates dont l'Égypte a le secret. Issu d'une famille aisée, diplômé en droit international, il a étudié et enseigné dans plusieurs grands établissements internationaux. Après un court séjour au ministère égyptien des Affaires étrangères et aux Nations unies, ce polyglotte raffiné et élégant atterrit à Vienne en 1984 à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'organisme chargé de promouvoir l'usage pacifique du nucléaire et d'en contrôler la prolifération militaire. Il y reste 25 ans et s'y illustre de manière spectaculaire comme directeur général.

Le monde le découvre au début de 2003 alors qu'il présente devant l'ONU le résultat des inspections du programme nucléaire irakien. Il défie l'administration Bush et démolit une à une les «preuves» américaines. En 2005, lui et l'AIEA se partagent le prix Nobel de la paix. En 2009, il quitte l'agence et se lance dans la politique égyptienne avec l'objectif de se présenter à la présidentielle de septembre prochain.

Bref, ElBaradei semble avoir le profil d'un futur président égyptien. C'est, en tout cas, ce que pensent bien des journalistes et observateurs occidentaux. Mais on ne gagne pas le pouvoir dans les rédactions de Paris et de New York ni dans les centres de recherche de Washington et de Londres.

Qu'on en juge. Au Guatemala, dans les années 80, Rigoberta Menchu a oeuvré sans relâche pour la cause des autochtones composant la majorité de la population de son pays. Elle a même gagné le prix Nobel de la paix pour cela en 1992. Quinze ans plus tard, elle se présente aux élections présidentielles, et tous les médias occidentaux la suivent à la trace. Or, elle n'obtient que 3 % des voix.

En Irak, le même scénario se répète pour Iyad Allawi. Arrivé dans les chars d'assaut américains, il est propulsé premier ministre en 2004 à la suite de manoeuvres politiciennes. Qu'importe, c'est l'homme des Américains, et les boîtes de relations publiques vont lui fabriquer une image de «modéré» afin d'assurer sa victoire aux élections de 2005. Il contrôle le gouvernement et la télévision, on ne parle que de lui. Le jour du scrutin, sa liste obtient 14% des voix, celle des groupes religieux 50%. Les médias occidentaux se disent «surpris».

ElBaradei subira-t-il le même sort? D'autres avant lui, connus ou inconnus, ont souvent réussi grâce à un solide ancrage dans leur société. Walesa et son mouvement Solidarité en Pologne, Mandela en Afrique du Sud, Jean-Bertrand Aristide en Haïti, les leaders de la révolution orange en Ukraine. Les résultats n'ont pas toujours été à la hauteur, car toute révolution a sa dynamique, obscure et insaisissable. En Russie, Alexandre Kerenski croyait tenir la rue en juillet 1917. Quelques mois plus tard, en octobre, Lénine, plus fourbe et cruel, lui arrache le pouvoir et confisque la révolution.

Les temps ont changé, mais la conquête du pouvoir dans une situation chaotique reste encore une course où on doit prendre de vitesse ses adversaires.

ElBaradei est l'homme providentiel dans le sens où, pour l'instant, tous les partis de l'opposition, même les Frères musulmans, en ont fait leur porte-parole face au régime Moubarak. Le départ du président étant maintenant assuré, ElBaradei demeure-t-il aussi indispensable? Je soupçonne que chacun reprendra ses billes afin de se positionner pour la présidentielle de septembre.