Les récents scandales financiers survenus à l'Université Concordia et la volonté du gouvernement de faire adopter dans la présente session sa loi 38 sur la gouvernance des universités nous conduisent à réfléchir sur le modèle de gouvernance qui convient le mieux aux universités.

Les récents scandales financiers survenus à l'Université Concordia et la volonté du gouvernement de faire adopter dans la présente session sa loi 38 sur la gouvernance des universités nous conduisent à réfléchir sur le modèle de gouvernance qui convient le mieux aux universités.

Aucun modèle de gestion ne sera jamais à l'abri d'erreurs de jugement. Mais ceux et celles qui croient encore que l'avenir des institutions universitaires passera nécessairement par un conseil d'administration trônant au-dessus des autres organes décisionnels et composé en majorité de membres externes «indépendants» doivent maintenant être bien gênés d'expliquer comment une grande université comme Concordia a pu errer au point, par exemple, d'offrir des parachutes dorés de plus de 2 millions de dollars à ses deux derniers recteurs, et cela, en pleine période de compressions budgétaires.

Mon hypothèse est que ces excès ne sont pas étrangers à la présence de plus en plus importante de membres externes à la communauté universitaire sur les conseils d'administration des universités québécoises, notamment de membres issus du milieu des affaires.

Il importe de rappeler que la pratique d'offrir à des dirigeants des indemnités de départ, d'acheter leur condo ou de leur payer de très généreuses primes d'allocation pour leur logement a peu à voir avec la culture traditionnelle du monde universitaire. Ce «modèle de gouvernance» a peut-être ses vertus dans d'autres organisations, mais il ne sied tout simplement pas aux universités, pour deux raisons.  

Tout d'abord, rappelons-le, le premier principe d'organisation du monde universitaire depuis ses origines est la collégialité. Les dirigeants des universités issus de leur communauté sont et devraient demeurer des pairs choisis par leurs semblables. Ces primus inter pares sont invités à assumer pendant un temps la gouvernance de leur institution et à retourner ensuite à leurs tâches dans cette même communauté. Dans un tel système de gouvernance collégiale, il n'est nullement nécessaire d'accorder des primes mirobolantes au départ d'un dirigeant. La sécurité d'emploi, qui est une pierre d'assise du monde universitaire, constitue déjà beaucoup.

Je comprends que le monde a évolué et que le principe de collégialité peut parfois apparaître suranné ou peu réaliste pour des organisations modernes qui accueillent des milliers d'employés, mais il possède encore de nombreuses vertus si on veut bien s'appliquer à le comprendre et à le délimiter correctement.

La première d'entre elles est de favoriser la mise en place d'un dirigeant issu de sa communauté et accepté par elle, plutôt qu'un administrateur de carrière choisi par un petit groupe de personnes dont plusieurs n'ont pas vraiment de connaissance intime de l'institution.

La deuxième raison pour laquelle les universités ne peuvent pas être gérées comme n'importe quelle autre entreprise est d'un tout autre ordre. La démocratisation de l'enseignement supérieur a profondément transformé l'université qui n'est plus, fort heureusement, l'institution hautement élitiste qu'elle était il y a encore quelques décennies. Les idéaux que sert aujourd'hui l'université sont beaucoup plus près de ceux que l'on retrouve dans différentes institutions du secteur public.

De surcroît, l'université contemporaine est financée en grande partie par des fonds publics. Les conditions d'emploi qui y prévalent devraient donc davantage ressembler au secteur public qu'au secteur privé.

Ceux qui travaillent dans les universités méritent d'être bien rémunérés, car leur activité est de la plus haute importance sociale. Ils ne doivent pas pour autant participer à une surenchère calquée sur les pratiques observées au sein de certaines grandes entreprises. De plus, le modèle qui consiste à accorder aux dirigeants des universités des conditions semblables à celles du secteur privé est contre-productif puisqu'il enferme ces mêmes dirigeants dans une cage dorée dont ils ne peuvent plus sortir sans une compensation exorbitante.

De tout temps, des influences ont tenté d'orienter l'université. De nos jours, certaines pratiques issues du milieu des affaires semblent avoir la cote: suprématie du conseil d'administration, nomination par ce même conseil des dirigeants dans le plus grand secret, commercialisation des activités, insistance sur l'image et le positionnement du «produit», etc. Ce modèle a certainement sa place en entreprise et il est même possible qu'il puisse offrir des éléments bénéfiques aux universités qui ont parfois tendance à s'«autolimiter».

Cependant, cette vision des choses peut également conduire aussi aux excès qui tourmentent à l'heure actuelle l'Université Concordia. Elle peut surtout engendrer le désinvestissement progressif et le cynisme de ceux et celles qui constituent les forces vives du milieu universitaire.

Il ne faut surtout pas exclure les représentants externes, ceux du milieu des affaires comme ceux des milieux sociaux, culturels ou syndicaux, des conseils d'administration des universités, car ils ont bel et bien une contribution à apporter. Cependant, un équilibre des points de vue doit être à tout prix recherché.

Surtout, leur vision «affaires» des choses doit être balisée par le respect d'un certain nombre de valeurs et de façons de faire qui ont passé l'épreuve du temps. La collégialité est une de ces valeurs. La vision de l'université moderne comme bien public au service de la collectivité en est une autre tout aussi importante.