Paradoxalement, même si c'est le Japon qui a le plus souffert du nucléaire dans son histoire, avec les bombes d'Hiroshima et de Nagasaki en 1945, c'est un pays qui a pris un leadership exceptionnel dans le développement de l'énergie atomique.

Dès 1954, l'État japonais créait des unités de recherche et développement de centrales nucléaires pour la production d'électricité - et des compagnies japonaises telles que Toshiba, Hitachi et Mitsubishi ont émergé parmi les plus grandes compagnies mondiales du secteur, avec l'américaine GE et la française AREVA. Aujourd'hui, 55 des 440 réacteurs nucléaires de la planète sont au Japon, produisant presque 25% de l'électricité japonaise.

À la suite du séisme, quatre des 17 centrales japonaises ont cessé leur production d'électricité, et les accidents à la centrale Fukushima (groupant six réacteurs nucléaires) font craindre une catastrophe nucléaire de grande ampleur, bien qu'il semble qu'elle n'aura pas la gravité de Tchernobyl.

Le Japon s'est engagé dans le nucléaire pour des raisons de sécurité énergétique. Devant importer presque toute son énergie de l'extérieur de son archipel (pétrole, charbon, gaz naturel, uranium), le Japon a bâti sa politique énergétique autour de l'efficacité énergétique. C'est le pays qui, à l'heure actuelle, utilise le moins d'énergie par dollar de PIB (trois fois moins que le Canada et que la moyenne mondiale). La consommation énergétique est ainsi équivalente à 28 barils de pétrole par habitant par année, alors qu'au Canada (un pays moins riche que le Japon), nous en utilisons l'équivalent de 59.

Sans avoir eu recours au nucléaire, le Japon aurait dû brûler encore davantage de gaz naturel, de charbon et de pétrole pour produire son électricité. Étant donné le prix de ces sources d'énergie et la vulnérabilité que leur importation donne au Japon, le choix du nucléaire s'explique.

N'émettant pas de gaz à effet de serre (GES), jumelé à un système de transport extrêmement efficace (où une large place est donnée au transport en commun), le choix du nucléaire permet au Japon d'émettre presque la moitié moins de GES par habitant que le Canada.

Dans ces circonstances de dépendance quasi totale à de l'énergie importée, d'une conscience de la nécessité de réduire les émissions de GES et aussi de leader technologique dans le domaine du nucléaire, il est tout à fait improbable que le Japon sorte de cette filière. Et ce, malgré la gravité des événements actuels.

Au niveau mondial, beaucoup misaient sur une renaissance de l'industrie nucléaire pour permettre de produire de l'électricité en grande quantité sans avoir à brûler de charbon - la plus importante source d'émissions de GES au monde, avant le pétrole. Cette «renaissance» a cependant été maintes fois reportée, à cause de l'explosion des coûts du secteur (due à la complexité technologique et à la sécurité) et des craintes de la population.

La tragédie nucléaire actuelle qui se déroule au Japon va amplifier ces deux obstacles: les coûts du nucléaire vont encore augmenter (resserrement des normes de sécurité) et son acceptation sera encore plus faible. Pour les changements climatiques, c'est une mauvaise nouvelle, parce qu'on rend encore moins accessible un substitut au charbon. Le gaz naturel, incluant le gaz de shale, apparaitra encore davantage comme une solution de moindre mal pour produire de l'électricité, malgré son impact environnemental distinct.

Il existe cependant des solutions qui permettent de sortir à la fois du nucléaire et des énergies fossiles.

Peut-être que les accidents nucléaires japonais vont mener à une prise de conscience et pousser les populations à réclamer de leurs élites de nouvelles approches énergétiques. La dernière décennie a cependant eu son lot de catastrophes: la marée noire du golfe du Mexique et la flambée des prix du pétrole sont deux récents exemples. Mais elles n'ont rien déclenché. Est-ce que la catastrophe du Japon pourra convaincre qu'une remise en question de nos systèmes d'approvisionnement et de consommation énergétique est nécessaire?