Dans les pages de La Presse, nous avons appris samedi que John Mullin, accusé d'un meurtre survenu en décembre dernier à Montréal, a été déclaré non criminellement responsable de ses actes pour cause de troubles mentaux.

Dans les pages de La Presse, nous avons appris samedi que John Mullin, accusé d'un meurtre survenu en décembre dernier à Montréal, a été déclaré non criminellement responsable de ses actes pour cause de troubles mentaux.

Je suis toujours étonnée, après la publication de ce genre de nouvelles, d'entendre des commentaires ou de lire des messages qui laissent entendre que ces «personnes» finissent toujours par bien s'en tirer, puisqu'elles ne sont pas considérées criminellement responsables de leurs actes. Ou encore, des commentaires à l'effet qui suggèrent qu'on a «sorti les fous de l'asile et maintenant ils commettent des crimes!», ou autres du même ordre.

Être déclaré non responsable pour cause de troubles mentaux (NCRTM) ne veut pas dire se soustraire à la justice! Et avoir une maladie mentale ne renvoie pas automatiquement à un verdict de non-responsabilité criminelle. En vertu du principe voulant qu'il soit inapproprié de «punir» des individus qui n'avaient pas d'intention criminelle au moment du délit, la défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux représente un mécanisme reconnu pour certains contrevenants vivant avec un trouble mental.

Plusieurs connaissent cette disposition par son ancienne appellation d'acquittement pour cause d'aliénation mentale. Cette ancienne appellation porte à confusion et ne correspond pas à la réalité. Cette appellation perpétue le mythe selon lequel une maladie mentale permet d'échapper à la justice. En réalité, une personne déclarée non responsable pour cause de troubles mentaux n'est pas libérée et retournée chez elle; elle est presque systématiquement détenue dans une institution de santé mentale.

Dans les faits, les personnes ayant un problème de santé mentale risquent d'être détenues plus longtemps tout au long des procédures judiciaires en comparaison avec des individus qui font face à la justice, mais qui n'ont pas de maladie mentale.

Il est faux de croire que les personnes reconnues non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux «s'en sauvent»! Les résultats préliminaires d'une étude que nous menons actuellement sur un échantillon représentatif de personnes jugées non responsables pour cause de troubles mentaux au Québec semblent confirmer les observations de plusieurs intervenants des milieux de la santé mentale et de la justice: ces personnes sont détenues plus longtemps en milieu hospitalier que si elles avaient été trouvées coupables et avaient été condamnées à la prison pour le même délit. Elles sont toutefois orientées vers des centres de soins en santé mentale plus adaptés à leurs besoins et à leur rétablissement.

Le lien entre les problèmes de santé mentale et certains comportements violents est influencé par une foule de facteurs tels que la toxicomanie, les conditions de vie précaires, la victimisation antérieure et parfois certains symptômes de la maladie mentale elle-même. La très grande majorité (90%) des personnes atteintes de maladie mentale n'est pas violente. Au Canada, les individus souffrant de maladie mentale seraient responsables de moins de 3% de la violence dans notre société. La personne vivant avec un problème de santé mentale est 15 fois plus susceptible d'être victime que d'être l'auteure de violence.

Le drame des familles

Les familles sont les victimes les plus fréquentes. Les actes de violence portent rarement sur des inconnus, mais se produisent plutôt au domicile des auteurs de l'acte, souvent sur des proches. Ces familles, les proches et les amis se retrouvent donc face à une détresse importante, à des situations déchirantes où s'affronte le désir d'aider et de soutenir la personne ayant un problème de santé mentale tout en assurant leur propre sécurité lorsqu'une situation se dégrade, et ce, avec peu de soutien et de services.

On fait de plus en plus de pression sur les secteurs de la santé mentale et de la sécurité publique pour qu'ils identifient les personnes les plus à risque dans une population très hétérogène où de multiples facteurs interagissent. C'est pourquoi chercheurs et cliniciens développent et mettent en oeuvre de meilleurs outils de dépistage, d'évaluation et de gestion des risques. Mais ces développements se font parfois dans des conditions difficiles; dans un contexte où la santé mentale demeure le parent pauvre de la santé, surtout en termes de ressources.

Malgré les efforts déployés depuis plusieurs années pour expliquer les maladies mentales, réduire les tabous qui entourent la maladie et les personnes qui en souffrent (par des témoignages ou des explications sur les progrès en matière de recherche ou de soins) force est de constater que nous sommes souvent exposés, par l'actualité médiatique, à des drames où la maladie mentale de la personne qui a commis un délit est soulignée avec insistance. Cette attitude nourrit, de façon disproportionnée avec la réalité, la crainte du «potentiel violent» des personnes vivant, par exemple, avec la schizophrénie. Cela a aussi malheureusement pour effet de perpétuer une stigmatisation qui nuit à l'intégration sociale, communautaire, vocationnelle et éducative des personnes et augmente leur marginalisation et leur isolement. La méconnaissance des faits entraîne trop souvent la peur et le rejet, ce qui mine sérieusement les efforts orientés vers l'intervention, la prévention et même, le rétablissement.

* L'auteure est aussi professeure agrégée au département de psychiatrie de l'Université McGill.