Tout comme vous, nous avons choisi le silence alors que les médias relayaient le débat qui a eu lieu au Québec au sujet de ce qu'on a appelé «l'affaire Cantat». La question de la violence conjugale n'a rien de simple et ne peut se résumer en une ou deux phrases-chocs. Les mots pour la dire s'accommodent mal du tumulte.

Tout comme vous, nous avons choisi le silence alors que les médias relayaient le débat qui a eu lieu au Québec au sujet de ce qu'on a appelé «l'affaire Cantat». La question de la violence conjugale n'a rien de simple et ne peut se résumer en une ou deux phrases-chocs. Les mots pour la dire s'accommodent mal du tumulte.

Comme vous, nous exécrons la double peine, comme vous, nous méprisons la récupération politique. Pourtant, nous avons été rassurées de constater qu'une grande partie de la société québécoise n'était plus indifférente aux horreurs, aux peines, à la souffrance et aux orphelins qu'engendre la violence conjugale. Dans un même concert, bien des voix se sont ainsi unies pour dire que le Québec s'oppose à cette violence faite aux femmes.

Vous parlez de choix moraux. Il y a à peine 30 ans, ici comme ailleurs, on fermait les yeux sur ces gestes qui privent encore trop de femmes de leur liberté, parfois même de leur vie, et bien trop d'enfants d'une vie heureuse et insouciante. C'est la volonté de faire cesser la violence et le contrôle qui ruinait la vie de nos mères et de nos soeurs, et la volonté de voir nos filles y échapper, qui nous a poussées à nous engager.

Et c'est sans violence que nous avons voulu changer ce monde qui refusait de voir les coups, d'entendre les cris et de dénoncer ces injustices, cette guerre sourde dont trop de femmes et d'enfants faisaient les frais. D'arrache-pied, nous avons voulu bousculer ces choix moraux insoutenables et rendre justice à celles dont les droits étaient bafoués.

Vous parlez aujourd'hui d'un ami qui tua la femme qu'il aimait. Bien des hommes, qui ont commis le même geste, diront aussi qu'ils aimaient leur conjointe. Et sans doute, le croient-ils sincèrement. Mais comment voir amour et passion dans les longues heures pendant lesquelles Marie Trintignant agonisait, avec le visage, son si beau visage, fracturé en 20 endroits? Comment parler d'amour alors qu'aucun secours n'a été appelé? Bertrand Cantat avait pourtant la présence d'esprit d'appeler son avocat. Prendre la vie d'un autre humain rime bien davantage avec guerre qu'avec amour.

Votre ami a été jugé dites-vous.C'est vrai. Ce dernier a purgé sa peine. C'est vrai. Ce dernier est devenu un symbole. C'est vrai aussi, comme c'est le fait de tous ceux qui, hommes ou femmes politiques, vedettes du sport ou artistes, vivent de l'appréciation du public, leurs succès comme leurs déboires. Cela n'est pas justice, c'est vrai aussi. Mais à l'instar de Jean-Louis Trintignant, plusieurs ici se sont dit: «Ne pourrait-il pas se faire discret?», comme doivent le faire d'autres qui ont commis de tels crimes.

Tout comme vous, nous choisissons la justice et la vie. Mais la vie, c'est aussi celle de Marie Trintignant, celle de Marie Altagracia Dorval assassinée à Montréal-Nord en octobre, celle d'Anne-Marie Desaulniers, tuée à Laval en novembre, celle de Yaneth Hernandez Constanza Gallego décédée récemment à Drummondville, celles de tant d'autres, celles de leurs enfants et de tous ceux et celles qui les pleurent.

Pour parler de justice, pour éviter la vengeance, pour envisager la réconciliation, peut-être faut-il faire une place, ne serait-ce que petite, à la réparation? La morale doit être en dialogue avec la justice.

Vous nous promettez de faire entendre l'absence de Bertrand Cantat dans votre cycle Des femmes, y entendrons-nous le silence des mortes?

* Les auteures sont respectivement présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale et présidente de la Fédération des femmes du Québec. Leur lettre ouverte est adressée au metteur en scène Wadji Mouawad.