Pendant plus de 100 ans, quiconque devenait chef du Parti libéral du Canada devenait tôt ou tard premier ministre du Canada. Stéphane Dion a été une exception; Michael Ignatieff risque d'en être une autre.

Pendant plus de 100 ans, quiconque devenait chef du Parti libéral du Canada devenait tôt ou tard premier ministre du Canada. Stéphane Dion a été une exception; Michael Ignatieff risque d'en être une autre.

Si les derniers sondages qui placent les libéraux au troisième rang devaient se traduire en sièges, le PLC se retrouverait dans une situation inédite, du jamais vu pour le grand parti de la gouvernance canadienne.

On peut évidemment croire que la responsabilité des échecs de 2006, 2008 et 2011 incombe essentiellement à la faiblesse du leadership libéral ou à une série d'erreurs tactiques. On peut aussi avancer qu'une dynamique plus fondamentale est venue fragiliser le positionnement traditionnel du PLC.

Depuis 30 ans, on assiste à une montée de la droite dans le monde industrialisé. Reagan et Thatcher ont été les pionniers de cette tendance lourde. L'apparition du Tea Party aux États-Unis, la montée du Front national en France, le dernier scrutin allemand ou les transformations du paysage politique scandinave témoignent que cette recrudescence de la droite continue.

Aujourd'hui, il s'agit souvent d'une droite fiscale et identitaire. En évoquant la «loi et l'ordre», la droite fait aussi écho aux sentiments d'insécurité qui ont atteint leur paroxysme en 2001. Elle répond également à des attentes d'un électorat vieillissant, souvent plus conservateur. Les partis de droite savent à présent moduler leurs principes; ainsi, ils n'ont pas hésité à utiliser les leviers keynésiens en situation de crise, en particulier en 2008. Et quand les vents sont hostiles, la droite sait mettre en sourdine certains éléments de son inventaire discursif : droits des minorités, avortement, peine de mort. Dès que la droite canadienne a uni ses forces en 2003, elle a pu s'inscrire dans cette tendance lourde de la culture politique occidentale.

La montée historique de la droite a été si forte que les partis de centre gauche ont fait quelques pas vers le centre. Ce fut le cas des démocrates américains avec Clinton, mais surtout des travaillistes anglais avec Blair. Dans d'autres cas, les mesures les plus socialisantes ont été abandonnées: ce fut le cas chez Mitterrand en 1984, mais aussi de Broadbent au NPD. En somme, tout le spectre s'est déplacé quelque peu vers la droite.

Avec Jean Chrétien, le Parti libéral du Canada avait participé à la même dynamique. Malgré quelques politiques plus à gauche - la position sur la guerre en Irak ou les mariages de personnes de même sexe -, Jean Chrétien a gouverné bien plus à droite que Trudeau ne l'avait fait.

Après l'élection de 2006, le Parti libéral a cherché à se redéfinir. Pour faire oublier les scandales et inspirer la nouveauté, il a donné un coup de barre à gauche, notamment sur la question environnementale. La dernière plateforme libérale n'est pas différente ; elle propose un interventionnisme marqué.

La recette, bonne sous Mackenzie King, s'est avérée funeste dans le présent contexte: 1) ces déplacements rapides ont fragilisé la base libérale traditionnellement au centre; 2) le vote «progressiste» est plus divisé que jamais; 3) le rapprochement du PLC vers le NPD, en plus de crédibiliser le NPD, met sur toutes les lèvres l'hypothèse d'une coalition; et 4) les conservateurs peuvent séduire d'autant plus facilement le centre puisque le PLC n'y trône plus. Tel est le drame des libéraux : ils sont sortis de leur zone de confort pour naviguer dans des eaux troubles déjà bien fréquentées.

Si les sondages s'avèrent justes, les libéraux pourraient passer au second plan, derrière les conservateurs et les «travaillistes canadiens», à l'instar de ce qui est advenu en Australie, au Royaume-Uni et dans bien des démocraties occidentales. L'élection du 2 mai pourrait mettre un terme à l'exception canadienne, caractérisée par un parti libéral dominant.