Anne, je vous écris parce que je pense à vous. Dans toute l'histoire qui secoue une partie de la planète en ce moment, à savoir l'inculpation de votre mari pour agressions sexuelles sur une jeune femme de chambre, j'ai d'abord et surtout pensé à la victime. La présumée victime.

Anne, je vous écris parce que je pense à vous. Dans toute l'histoire qui secoue une partie de la planète en ce moment, à savoir l'inculpation de votre mari pour agressions sexuelles sur une jeune femme de chambre, j'ai d'abord et surtout pensé à la victime. La présumée victime.

Puis, depuis quelques jours, je me suis mise à penser à vous. En fait, depuis que je vous ai vue marchant, drapée dans votre dignité au bras de votre belle-fille, vers la salle d'audience new-yorkaise où votre mari allait être inculpé. Hélas, ou heureusement, c'est selon, l'expression inconsciente des émotions ne se couvre pas d'apparat. Votre regard, votre oeil gauche, paupière tout affaissée par la souffrance, m'ont touchée.

Vous êtes aux États-Unis auprès de votre mari dans la résidence qui lui est assignée. Je suis à Paris où le drame criminel de moeurs sexuelles vous concernant, par alliance, s'étale dans tous les médias. On y parle beaucoup de vous, évidemment. De votre idylle, puis de votre mariage pour lequel, dit-on, vous auriez sacrifié votre carrière, de la femme formidable que vous êtes et des frasques de votre chéri.

Il y a quelques jours, votre ami Robert Badinter s'émouvait sur le petit écran en parlant de vous, il s'extasiait de votre infinie capacité d'amour. «Quelle chance il a, clamait-il, en parlant de votre mari, d'avoir une femme aussi merveilleuse... Quelle plus grande preuve d'amour peut-on demander à une femme que de supporter ainsi son mari, d'être toujours derrière lui, avec lui, contre vents et marées...», disait-il, en substance.

Badinter voulait émouvoir. Il m'a énervée. Non pas que l'amour m'irrite, bien au contraire, mais il vous a traitée comme si vous n'étiez rien d'autre que «la femme éperdue de Strauss-Kahn»! Quid de la femme de pouvoir, richissime, brillante, lettrée, capable, belle et désirable? Pourquoi vous présente-t-on comme une sacrifiée? Comme une mère Teresa de la haute bourgeoisie française, silencieuse et résignée devant les humiliations que lui fait subir son maître. En tant que femme - et peut-être plus encore parce que nous sommes de la même cuvée, celle des baby-boomeuses nées au milieu du XXe siècle et celle des féministes qui ont voulu changer le monde - je suis outrée et blessée du portrait évanescent que l'on brosse de vous.

Vous affirmez croire en sa totale innocence. Évidemment, ce serait embêtant de déclarer: «Il fallait s'y attendre!» Je doute de votre assurance. En ce moment, je me demande comment vous vous sentez, aux côtés de cet homme, dans l'appartement de New York où il prépare sa défense. Qu'éprouvez-vous en le regardant? Comment et jusqu'où l'aiderez-vous à se sortir de ce mauvais pas, le pire où il s'est jamais enlisé? Vous l'avez toujours supporté, appuyé de vos millions et de votre solidarité, défendu envers et contre tous (et toutes) en toutes circonstances et semblez déterminée à continuer de le faire. Cette fois-ci, pourquoi l'aideriez-vous?

Vous avez intitulé «Et maintenant», le dernier billet que  vous avez écrit le 11 mai dernier sur votre blogue alors que votre oeil gauche ne s'était pas encore affaissé. Si j'osais, je dirais que c'était un titre prémonitoire. «Et maintenant» Anne, que ferez-vous? Cette fois-ci, votre dignité en prendra un coup à l'échelle planétaire. Aux yeux de tous les hommes et de toutes les femmes de la planète qui sont tournés vers vous, des femmes solides ou fragiles, jeunes ou vieilles, riches ou pauvres, fussent-elles ou non, trompées, violées, bafouées, bâillonnées, utilisées, quel modèle choisirez-vous de représenter? Celui d'une femme-paillasson, malgré ses millions, sa rare valeur et son intelligence? Ou celui d'une femme libre et digne, qui ne reçoit pas sa valeur de l'autre, comme le zéro reçoit la sienne du petit chiffre qui le précède?

Je me sens solidaire de vous. Autant que de la jeune femme présumément agressée et molestée par votre mari. Comme si, au fond, le traitement qu'il vous réservait à toutes deux était le même, à un plumeau près.