Chers cousins, il y a longtemps déjà que je vous fréquente et pourtant, jamais vous ne cessez de me surprendre.

Chers cousins, il y a longtemps déjà que je vous fréquente et pourtant, jamais vous ne cessez de me surprendre.

L'an dernier, encore, vous avez provoqué l'hilarité générale en vous opposant au relèvement de l'âge de la retraite à 62 ans. Mais là, vous vous dépassez: un sondage révèle en effet que 57% d'entre vous croient que DSK a été victime d'un complot.

Connaissant votre grande culture littéraire, j'attribue une partie de ce pourcentage ahurissant à votre lecture des oeuvres d'Alexandre Dumas, ce grand maître de la conspiration occulte.

Pour ma part, je n'arrive pas à identifier quelqu'un d'assez machiavélique pour avoir créé cette intrigue de la femme de chambre africaine (de surcroît immigrante, musulmane et mère célibataire) qui entre dans sa chambre dans la matinée, au moment précis où il sort nu de la douche, et qui réussit à l'amener à avoir avec elle une relation consensuelle pour se plaindre par la suite qu'elle a été agressée, le tout au profit d'un mystérieux commanditaire. Comme disait François Pignon, c'est «très intelligent, mais vachement tordu».

Si j'avais été le scénariste de ce coup monté, j'aurais placé la scène à l'heure de l'apéro et j'aurais introduit dans la chambre de ma victime une soubrette blonde aux yeux verts avec un décolleté profond et une jupe à ras vous savez quoi, et portant un plumeau ainsi qu'un cellulaire où serait enregistré le numéro personnel de Sarko. L'addition de tous ces clichés aurait donné, me semble-t-il, plus de crédit à la thèse de la conjuration.

Mais outre votre imagination débridée, cette affaire révèle aussi des différences fondamentales entre vous et les Nord-Américains, ainsi que certains traits culturels et sociétaux que je qualifierais de gênants ou même de déplaisants.

On ne peut que s'étonner de la survivance dans votre pays, qui a pourtant fait une révolution en bonne partie pour éradiquer les privilèges sociaux, d'un formidable écart non seulement économique, mais aussi sociétal et judiciaire entre votre élite et les masses populaires.

Avouez-le: ce qui vous choque, dans l'affaire DSK, c'est qu'un puissant (homme de gauche, de surcroît) soit arrêté et inculpé à la suite du témoignage d'une femme de ménage noire, musulmane et immigrante. Dans votre pays de strates et de privilèges, cela est impossible: ou les policiers n'auraient pas pris ses allégations au sérieux, ou le parquet aurait étouffé l'affaire ou l'aurait laissé trainer en longueur jusqu'à étiolement, ou encore un mandarin au bras long serait intervenu pour y mettre le holà.

Vous êtes d'autant plus indignés que vous considérez que ni les médias ni la justice n'ont le droit de s'immiscer dans les amours, même ancillaires, des gens riches et célèbres. Mais vous avez hélas! tendance à confondre aventures et harcèlement ou même agression, pardonnant aux nababs leurs incartades sans vous soucier de leurs victimes.

L'affaire DSK témoigne aussi de votre sentiment collectif de supériorité face aux sociétés nord-américaines, que vous considérez comme frustes et brutales. Vous avez en effet été choqués de voir DSK, menottes aux poignets, traité comme un «vulgaire détenu».

Je regrette d'avoir à vous le rappeler, mais dans le système judiciaire états-unien, où le statut social compte beaucoup moins que chez vous, c'est ce qu'il est. Et ni son appartenance à l'élite mondiale ni son poste prestigieux ne lui permettront d'obtenir de passe-droit.

Je soumets aussi que, malgré la détestable mise en scène et la médiatisation du processus judiciaire, la présomption d'innocence y est beaucoup mieux respectée que chez vous. Ces procédés vous hérissent, tandis que je suis fort aise de constater une fois de plus qu'aux États-Unis, ce pays de cow-boys et de rednecks, «nul n'est au-dessus de la loi».