En tant que chercheurs spécialistes du domaine de l'eau au Québec, c'est avec consternation et une profonde déception que nous avons appris que le gouvernement du Québec allait permettre la reconstruction en zone inondable dans les secteurs touchés par les récentes inondations le long de la rivière Richelieu.

En tant que chercheurs spécialistes du domaine de l'eau au Québec, c'est avec consternation et une profonde déception que nous avons appris que le gouvernement du Québec allait permettre la reconstruction en zone inondable dans les secteurs touchés par les récentes inondations le long de la rivière Richelieu.

Bien que nous comprenions le désir des citoyens dont les maisons ont été inondées de vouloir retourner «chez-eux», cette décision transgresse la politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables mise en place par le gouvernement du Québec lui-même. Elle contrevient carrément aux principes de gestion durable des milieux riverains et va à l'encontre des politiques développées dans le reste du Canada, dans plusieurs états américains ainsi qu'en Europe. Enfin, elle fait fi de la science sur les changements climatiques qui prévoit un fort risque d'accroissement des événements extrêmes, et de la nécessité de développer des stratégies d'adaptation pour le XXIe siècle.

Pendant de nombreuses décennies, les rivières ont été perçues comme des éléments de la nature qu'il fallait contrôler à tout prix, par des barrages, du dragage, des linéarisations, des endiguements, des stabilisations de berge et autres types d'intervention. Le constat qui est apparu vers la fin du XXe siècle est que la stratégie d'interventions tous azimuts ne fonctionne pas puisqu'elle engendre d'autres problèmes, souvent plus graves, ailleurs dans le bassin-versant, qu'elle exige des travaux de maintenance coûteux, qu'elle contribue à décroître la qualité de l'eau et qu'elle peut même augmenter l'intensité et la récurrence d'aléas tant en période d'étiage (c'est-à-dire pour les prises d'eau municipales) qu'en période de crue.

Depuis plus de 20 ans, un fort consensus scientifique s'est dégagé sur la nécessité de modifier cette stratégie afin de «travailler avec la nature». Il est en effet naturel et fréquent pour un cours d'eau dynamique de sortir de son lit, d'éroder ses berges et de créer des accumulations de sédiments dans certains secteurs. Il est donc essentiel de laisser un certain espace de liberté aux cours d'eau pour que ces processus naturels puissent opérer sans que cela n'engendre de risques pour les vies humaines, les infrastructures et les propriétés.

Dans le passé, des permissions de construction dans les zones inondables du Québec ont souvent été octroyées, avec pour conséquence une «bétonisation» de ces surfaces, une perte de milieux humides et un remblaiement de la zone naturelle d'inondation. Il en résulte un risque accru d'inondation non seulement dans les zones nouvellement construites, mais aussi plus en aval en raison de la diminution de la capacité d'infiltration et de l'effet tampon d'une plaine d'inondation naturelle. Les inondations survenues sur la rivière Richelieu sont d'une ampleur exceptionnelle, mais les dommages auraient sans doute été nettement moins importants si l'on avait limité au strict minimum le développement en zone inondable.

Les événements hautement médiatisés de la rivière Richelieu ont créé un moment privilégié pour amorcer une réflexion sérieuse sur une gestion moderne et durable des plaines inondables et de leurs cours d'eau, telle que maintenant préconisée ailleurs. Dans un contexte d'adaptation aux changements climatiques, on se doit d'envisager de nouvelles solutions efficaces et durables. Au lieu de saisir cette occasion, le gouvernement du Québec crée non seulement un précédent inquiétant, mais envoie un message fort qui contribuera à soutenir un développement accru en zones inondables. Ce message sera très bien reçu de la part de nombreuses municipalités et développeurs, mais à quel prix? À la suite de cette décision, comment pourra-t-on dans le futur empêcher la reconstruction dans des secteurs inondés le long d'autres cours d'eau au Québec? Est-ce de fait la politique du Québec en ce qui concerne la gestion des zones inondables?  

Il est essentiel que le Québec fasse preuve de plus de vision dans ce domaine, alors que plusieurs pays et la plupart des autres provinces canadiennes ont déjà plusieurs années d'avance sur nous. Nous avions déjà un sérieux retard à rattraper en termes de gestion des cours d'eau, et voici que cette décision de permettre la reconstruction en zone inondable nous fait reculer de plusieurs décennies. Voilà ce qu'on l'on appelle une occasion manquée...

* Ali Assani, Hydro-climatologue et  géomorphologue, UQTR; Normand Bergeron, hydro-géomorphologue, INRS-Eau, Terre, Environnement; Pascale Biron, hydro-géomorphologue, Université Concordia; Maxime Boivin, candidat au doctorat en hydro-géomorphologie, UQAR; François Brissette, ingénieur hydrologue, École de technologie supérieure; Thomas Buffin-Bélanger, hydro-géomorphologue, UQAR; Bertrand Côté, ingénieur hydraulicien, Université de Sherbrooke; Marie Larocque, hydrogéologue, UQAM; Robert Leconte, ingénieur hydrologue, Université de Sherbrooke; Laurent Lepage, Institut des sciences de l'environnement, UQAM; Nicolas Milot, Institut des sciences de l'environnement, UQAM; André Roy, hydro-géomorphologue, Université de Montréal; André St-Hilaire, hydrologue, INRS-Eau, Terre, Environnement.