Dans le dossier Guy Turcotte, les textes d'opinion publiés samedi dernier dans les pages Forum de La Presse et dans Place publique sur Cyberpresse ont suscité de nombreuses réactions des lecteurs. En voici quelques-unes.

Guy Turcotte a gagné

Le prêtre Raymond Gravel affirme que Guy Turcotte a tout perdu («Guy Turcotte a tout perdu»). Contrairement à lui, je crois que Guy Turcotte a gagné dans cette affaire tout ce qu'il lui était encore possible de gagner. En agissant de la sorte, consciemment ou non, il enlevait ce qu'il y avait de plus précieux pour son ex-femme. Son geste est, selon moi, de la pure vengeance et c'était le seul geste qu'il pouvait poser afin de «regagner» un certain pouvoir et une emprise sur elle. Isabelle Gaston avait trouvé l'amour dans les bras d'un autre homme et c'est cette perte qui a amené Turcotte à commettre l'irréparable. Il était fou d'elle à un point où envisager de la perdre était inacceptable. En tuant leurs deux enfants, il amenait avec lui ce qu'il y avait de plus précieux pour Isabelle, mais il s'assurait également de briser la jeune relation qu'elle entretenait avec son nouvel amoureux. Quelle jeune relation peut survivre à un drame pareil, surtout dans les conditions dans lesquelles la relation était née (son amant était un ami proche de Turcotte)! En agissant de la sorte, Guy Turcotte s'assurait d'avoir les pensées d'Isabelle Gaston jusqu'à la fin de sa vie; elle allait être obligée de penser à lui tous les jours jusqu'à sa mort puisqu'il avait assassiné ses enfants. Guy Turcotte est un être supérieurement intelligent et quand il n'a plus le contrôle sur ce qui arrive dans sa vie, des mécanismes de défense inconscients prennent le relai et lui fournissent des solutions inattendues visant à garder la face. Il a charmé et endormi (avec l'aide de son avocat) les 11 membres du jury durant tout le procès. Il a joué à merveille le seul rôle qu'il pouvait jouer en se présentant comme un homme abattu, plein de remords, brisé et repentant. Il a gagné la sympathie du jury et peut maintenant aspirer à être totalement libre.  

Jocelyn Lake

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Le déni

Le verdict dans l'affaire Guy Turcotte, ni acquitté ni innocenté, a soulevé la colère et l'incompréhension de plusieurs citoyens parce qu'il a heurté sérieusement leurs valeurs en regard de ce qu'est la vie, le plus précieux des biens. Un homme, un père de famille, qui règle un différend avec sa conjointe en s'en prenant à ses propres enfants et en les assassinant. Ces sentiments ont été encore plus attisés par les réactions de déni de réalité qui ont fait les manchettes dans les journaux de la part d'autres citoyens. Pour eux, un médecin, un père de famille qui aime ses enfants à «la folie» et qui les tue pour faire payer à sa conjointe une séparation, ça ne peut pas se concevoir. C'est pourtant ce qui est arrivé. Dans leur texte d'opinion, l'abbé Raymond Gravel et une employée qui a travaillé avec Guy Turcotte sont de ces personnes qui dénient cette réalité. De plus, l'abbé Gravel reproche leur attitude aux citoyens en colère, et leur demande de ne pas se laisser aller à une telle conduite. Quand il écrit «... le fait d'être choqué, par la décision du jury, bouleversé et même traumatisé par l'horreur du crime, ça ne nous donne pas le droit de dire n'importe quoi», il semble vouloir forcer les gens à ne pas réagir, à pardonner sur-le-champ, à ne pas juger, à se taire. Sa réflexion, style sermon, tente de faire la morale et de culpabiliser. Il ne semble pas réaliser que dénier une réalité, ravaler un crime horrible à la thèse d'un état second qui a duré le temps de la tuerie et qui permet décriminaliser le geste, libérer la personne après quelques mois de contrôle administratif par une instance de la santé mentale, c'est là un trop gros morceau à faire avaler à bien des citoyens. Ils ont le plein droit de réagir et d'entretenir à l'égard de Guy Turcotte (et de plus de 300 à 400 autres citoyens par année qui bénéficient de la non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux) les sentiments qu'ils ressentent. Pour eux, il y a démesure entre la gravité du geste posé et l'absence presque complète de conséquences à l'endroit du citoyen qui en est coupable.   

Normand Langlois, Repentigny

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La justice des deux solitudes

Je suis d'accord avec beaucoup de ce que la plupart des chroniqueurs ont écrit, mais surtout avec le portrait de Guy Turcotte que nous décrit la sexologue et écrivaine Jocelyne Robert («Guy Turcotte a tout tué»). Il était «beau, nanti, performant, perfectionniste, exigeant. Il ne supportait pas l'échec, la fêlure, le faux pli». Tout est là. J'ai déjà écrit que la machine de la justice avait été inventée pour établir des balises qui régiraient les comportements du bon peuple. J'ai déjà dit aussi que la justice avait souvent des airs de prostituées qui accorderaient ses faveurs, surtout à ceux qui pouvaient se les payer. Alors quoi? Alors, la justice des «deux solitudes». J'ai déjà écrit que Robert Latimer n'avait peut-être pas eu la défense que son cas méritait. Ce pauvre type devenu incapable de voir sa petite fille lourdement handicapée, souffrir le martyre depuis de nombreuses années, sans espoir que la science médicale puisse faire autrement que de s'en servir comme cobaye, avait décidé de mettre fin à ses jours. Après avoir servi sa peine de prison, il est venu à la télé de Radio-Canada récemment, nous dire qu'il était parfaitement conscient de la gravité de son geste, mais qu'il recommencerait, placé devant la même situation. Son avocat avait alors décidé de plaider l'homicide par compassion. J'avais alors cru, et je le crois davantage maintenant, qu'en plaidant «homicide» peu importe le type, il allait de soit qu'il n'y avait pas d'acquittement possible. Ça m'apparaissait comme la façon la plus facile et la plus expéditive de se débarrasser d'un meurtrier que nos Anglos de l'Ouest canadien, «moins émotifs que nous», paraît-il, voulaient voir en prison, le plus tôt possible. Ils l'ont vu. J'aimerais bien voir maintenant nos experts en droit constitutionnel, grands défenseurs de la Charte des droits et libertés, nous expliquer les décisions de nos tribunaux et nous rappeler encore une fois qui sont les vrais juristes qui façonnent le droit canadien. Enfin, j'aimerais aussi comprendre d'où me vient ce très fort sentiment que la justesse des sentences de ces deux hommes est inversement proportionnelle à la gravité des actes commis.  

Jacques Faille, Brossard

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Qu'on se responsabilise!

Merci à Jocelyne Robert, Stéphane Laporte («La vie ne vaut rien») et Jacques Duquette («Procès devant jury: une institution dépassée») d'avoir enfin nommé et dénoncé les points essentiels de notre colère face au verdict de Guy Turcotte. L'homme était un grand narcissique, mon contact avec lui pendant près d'un mois lors de l'hospitalisation de ma mère à Saint-Jérôme, me le confirme. La société est remplie de ces êtres dont le «moi» est si grand qu'ils deviennent très faibles et peuvent même perdent le contrôle lorsque contrariés. Quelle est la conséquence de ce mal, je ne le sais pas, mais d'être narcissique ne fait pas de vous un être démuni de responsabilité, au contraire! Comme nous déresponsabilisons les gens de tout, de nos jours (politiciens, gens au pouvoir, parents, étudiants, etc.), nous avons déresponsabilisé cet homme aux moyens supérieurs à la moyenne de la société pour demander de l'aide. Oui, ça pourrait être vous ou moi un jour qui perdions les pédales. Qu'à cela ne tienne! Qu'on nous responsabilise alors et nous devrons assumer notre perte de liberté pour le reste de nos jours... M. Duquette quant à lui, soulève la question de la pertinence du jury. Effectivement, ce point mérite réflexion. Par contre, je crois que nous devons aussi nous questionner sur les inégalités de moyens des procureurs de la Couronne versus les avocats de la défense. Ce point est majeur et la défense de victimes (qui pourraient aussi un jour être vous ou moi) en est directement affectée. Nous savons que dans le cas de Turcotte, la défense a pu plaidé pendant six longues journées alors que la Couronne, ne l'a fait que pendant deux jours. Ce point est révélateur et il m'apparait inadmissible et injuste de savoir que les victimes sont défendues par des avocats ayant moins de moyens que ceux des criminels!

Marie-Claude LeBlanc

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La maladie mentale n'exclut pas la prison

Excellente, l'opinion de Jocelyne Robert! Enfin, quelqu'un qui est sensé, mature, qui a du discernement et du jugement, et qui ne se laisse pas lâchement avoir par le politically correct. Son texte est limpide. J'espère que tous les journalistes qui s'enduisent dans politically correct depuis une semaine auront le courage de regarder de l'autre côté du miroir et ont oublié la patine de celui qui a tué ses propres enfants. Autre chose: Russell Williams a tué deux femmes et a été déclaré coupable, mais aussi malade mental, ce qui n'a pas empêché les autorités de l'envoyer en prison et qu'il reçoive ses soins pour maladie mentale en prison. Pourquoi Guy Turcotte, qui a avoué avoir tué ses deux enfants donc coupable et qui est aussi malade mental, devrait éviter la prison pour recevoir ses soins pour maladie mentale? Il s'agit pourtant de meurtres aussi graves, sinon plus, puisqu'il s'agit de SES propres enfants. Ceux qui écrivent que Guy Turcotte est lynché sont les seuls à croire cette (leur) histoire. À leur façon, les citoyens de presque tout le Québec sont d'accord avec Mme Robert: serions-nous si dénués de jugement et de discernement, si peu instruits, si peu informés «comment ça marche dans un procès», si vengeurs, si vils?

Samuel Rabinovitch

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Deux procès différents

M. Pratte, le parallèle que vous faites entre l'affaire Turcotte et l'affaire Casey Anthony ne tient pas la route («Le procès»). Dans le procès de Guy Turcotte, il a admis et même décrit son geste ainsi que les circonstances qui l'ont entouré. Dans le procès d'Anthony, il n'y a rien de cela sinon une preuve circonstancielle forte si l'on veut, mais circonstancielle quand même. Si Guy Turcotte avait commis son geste en Floride, il est à peu près certain qu'il aurait été condamné à mort ou à la détention à perpétuité. Mais nous n'acceptons pas ce genre de justice au Canada, avec raison d'ailleurs. Une personne qui commet un crime de cette gravité doit être retirée de la circulation pendant un long moment. Invoquer une perte momentanée de la raison pour la renvoyer dans la société permet aux tueurs de se prévaloir de ce motif à l'avenir et confirme le sentiment de la population que justice n'a pas été faite.

Raynald Laplante

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Jugement téméraire

Les commentaires émis par Jocelyne Robert ne sont rien d'autre qu'un jugement de valeur pour le moins téméraire et déplorable: comment peut-on se permettre de dresser un tel portrait d'une personne quand on se fonde uniquement sur du ouï-dire, qu'on ne connaît pas du tout la personne en cause? Même si notre système judiciaire n'est pas parfait et que les faits de cette triste histoire dépassent l'entendement et ne laissent personne indifférent, je préfère encore le jugement de 11 personnes ordinaires. Elles ont écouté attentivement et évalué sérieusement toutes les composantes de la preuve avant de rendre leur décision et, surtout, ont su faire abstraction de leur émotivité personnelle pour s'acquitter d'une tâche pénible avec une honnêteté intellectuelle et un professionnalisme dont plusieurs auraient intérêt à s'inspirer! S'il est à propos de s'interroger sur notre système de valeurs où le paraître a pris une telle importance, ce n'est certainement pas en portant des jugements à l'emporte-pièce qu'on y parviendra!

Francine Dufresne, avocate

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Verdict majoritaire

Je suis en désaccord avec Jacques Duquette et son opinion intitulée «Une institution dépassée». Au centre du sujet débattu, il y a une vérité fondamentale: «toute opinion humaine est nécessairement subjective». En ce sens, l'opinion d'un savant juge est également subjective. Je reconnais que sa «science» lui permet de réduire l'étendue de sa subjectivité, mais la subjectivité persiste. Certains juges ne peuvent pardonner l'alcoolisme alors que d'autres seront inconfortables devant un batteur de femme! Or quand on dit «subjectivité», on sous-entend: possibilité d'exagération, sinon d'errance. C'est le piège que tendent à éviter les jurys: la synthèse des subjectivités de plusieurs personnes tend à se rapprocher d'une certaine vérité, sinon d'une vérité certaine. Donc l'institution du jury ne me semble pas dépassée. Ce qui l'est peut-être, c'est son mode de fonctionnement. La principale erreur de fonctionnement est l'exigence imposée de devoir rendre une décision unanime. Cette exigence est à l'encontre de la nature même du jury qui est basée sur la synthèse des subjectivités individuelles de ses membres. Une meilleure conclusion (et une économie de temps qui plairait à Jacques Duquette) serait atteinte si l'on exigeait simplement un verdict à la majorité de ses membres, quitte à fixer à un taux supérieur à 50% + 1 le pourcentage que cette majorité devra refléter. Le nombre des jurés pourrait, en conséquence, être légèrement augmenté.

Gilles Desmarais, Val-des-Monts

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Que ressentaient ses enfants, eux?

On a beaucoup entendu parler du procès de Guy Turcotte, de son état d'esprit, de ses émotions et de ses troubles mentaux lorsqu'il a commis son geste. Les spécialistes sont venus témoigner de leur diagnostic. Les grands ont parlé... et le jury les a entendus et en a décidé. Mais jamais on n'aura entendu l'état d'esprit dans laquelle Olivier et Anne-Sophie se sont trouvés à chaque coup de couteau. J'aurai aimé que les grands, les spécialistes, donnent leur diagnostic quant à l'état d'esprit dans lequel ils se sont trouvés plongés. Mais que vaut la parole des enfants... ils sont morts, les sans-paroles, et les grands ont donné leur verdict.

Bianca Champagne, Montréal