Force est d'admettre que nos commentateurs sont souvent bien mal outillés pour saisir le sens de l'émeute. Comment, en effet, comprendre le sens de ce qui par définition semble ne pas en avoir? Comment saisir le message transmis par des événements qui se produisent précisément lorsque les mots ne suffisent plus?  

Force est d'admettre que nos commentateurs sont souvent bien mal outillés pour saisir le sens de l'émeute. Comment, en effet, comprendre le sens de ce qui par définition semble ne pas en avoir? Comment saisir le message transmis par des événements qui se produisent précisément lorsque les mots ne suffisent plus?  

Du côté des classes dirigeantes, les réponses sont le plus souvent toutes faites, et c'est sous la rubrique de l'irrationnel, de la sauvagerie et de la violence gratuite qu'on situe généralement l'émeute.

Sans chercher dans l'émeute l'expression d'une pensée sociale et politique purgée de contradictions, il faut pourtant la saisir comme une action rationnelle, un mode d'expressivité propre aux classes populaires. Il ne s'agit pas simplement de «violence aveugle»: les cibles des émeutiers en Angleterre sont trop précises et symboliquement cohérentes pour n'y voir que la manifestation d'une frénésie aléatoire.

Les attaques, comme le souligne Paul A. Gilje, qui a travaillé sur l'histoire des émeutes aux États-Unis, ne sont pas le fruit au hasard. Les émeutiers, contrairement à ce qu'on en dit, ne cassent pas «tout». C'est l'État et la société marchande, à travers les attaques aux forces de l'ordre, et la marchandise, à travers le pillage et la destruction, qui sont les cibles principales des émeutiers.

Le pillage, d'ailleurs, ne peut être réduit totalement réduit à sa dimension instrumentale ou consumériste: en banlieue de Londres comme en France, il n'est pas rare de voir ces marchandises détruites sur place, brûlées afin d'alimenter les feux ou utilisées comme matériel afin de dresser des barricades.

Les émeutes que vit présentement Londres peuvent être qualifiées, comme le fait l'anthropologue Alain Berthot, d'«émeutes de la dignité». Ces émeutes répondent à un processus logique, à un pattern. Le récit est systématiquement le même: dans un quartier pauvre à forte concentration ethnique, où les citoyens se plaignent de profilage et de stigmatisation, la police abat un jeune. L'émeute éclate généralement en quelques heures, au plus tard le lendemain, tout dépendant du temps que la rumeur prend à se répandre.

C'est à ce schéma que répondent les émeutes de Cincinnati (2001), de Kabylie (2001), de Benton Harbor (2003), d'Australie (2004-2005), de Chine (2005), de Bruxelles (2006), de France (presque à chaque année depuis 2001) et, plus près de chez nous, de Montréal-Nord (2008).

Le sens de ces émeutes est clair, limpide. Si les jeunes doivent cyniquement vivre dans des sociétés où ils sont des citoyens de seconde zone, ils refusent toutefois de mourir en silence sous les balles de la police et de l'État.

En Angleterre, ce sont les radicales compressions dans les services publics (dont la fermeture de nombreuses maisons de jeunes), de même que les hausses des frais de scolarité (qui ont presque doublé), qui expliquent cette expansion de la flambée émeutière.

Tendre l'oreille à ce cri de révolte obligerait les autorités à faire un examen de conscience hors du commun, car les problèmes mis à jour par l'émeute ne sont pas bénins, mais historiques.

Ce sont les formes mêmes de nos sociétés que l'émeute, par la destruction, remet en cause. Mais le changement ne semble pas être à l'ordre du jour. Quand les feux seront éteints et que les traces du combat auront quitté les rues, tout redeviendra «comme avant». Pour preuve, les autorités n'ont que le mot «riposte» à la bouche, comme si les émeutes étaient le fait d'étrangers ou d'ennemis de la nation.