Cinq ans après l'effondrement du viaduc de la Concorde, la surveillance des chantiers sera négligée encore davantage.

Nous arrivons au cinquième anniversaire de l'accident du viaduc de la Concorde. Le respect dû à la mémoire des victimes ne doit pas nous empêcher de poser des questions. Qu'avons-nous appris depuis ? Qu'avons-nous changé ? Après tout, c'est en évoquant leur mémoire que Jean Charest avait créé la commission Johnson.

L'Ordre des ingénieurs, que je présidais alors, avait présenté quelques recommandations à cette commission. Nous souhaitons mettre l'accent sur des problématiques pour lesquelles nous avions identifié des solutions.

Tout d'abord, devant l'incapacité manifeste des autorités à bien surveiller les ouvrages importants, et surtout devant les risques pour la sécurité du public de leurs déficiences, nous avions suggéré la création d'une régie pour voir à la surveillance des ouvrages d'art (ponts de toute nature, édifices en hauteur) et à la sécurité du public en tout temps pendant la durée de vie de ces ouvrages.

La régie, une sorte de chien de garde, se serait assurée du dépôt par leurs propriétaires d'un bilan de santé de ces ouvrages. Par exemple, elle s'assurerait de l'inspection de ces ouvrages, de leur réparation lorsque requise, de leur sécurité lors de travaux, bref de tout ce qui concerne la sécurité du public. La régie serait financée par les propriétaires de ces infrastructures. Elle devrait s'assurer que les entretiens et les réparations sont priorisés et exécutés par les propriétaires.

Les événements de ces derniers mois ne font que renforcer le besoin d'un tel organisme. Le ministre nous a expliqué combien le tunnel Ville-Marie était bien inspecté, et il a fait rajouter pas moins de 19 poutres pour le consolider. Peut-on imaginer ce que nous aurions dû faire si son inspection avait été quelque peu déficiente ?

Avec une régie, tous les rapports d'inspections et de travaux requis sont publics et transparents ; la population est informée en tout temps de l'état des infrastructures et en cas de négligence, elle peut exiger des comptes aux autorités et propriétaires.

Une autre recommandation visait la révision de la loi sur les ingénieurs. La loi prévoit un strict encadrement pour la conception des ouvrages, mais à peu près rien pour la surveillance des travaux lors de leur construction. Le résultat paradoxal de cette situation est parfaitement illustré par la commission Johnson, qui a non seulement trouvé le responsable de la conception, mais un dossier complet. Les commissaires ont pu s'assurer que toutes les lois et règles de l'art de l'époque ont été bien suivies par le concepteur, documents à l'appui.

En ce qui concerne la surveillance des travaux, ce fut une tout autre histoire. Dans l'hypothèse où quelqu'un avait cette responsabilité, on n'a jamais pu le trouver, sinon par de vagues souvenirs de témoins. C'est comme si on retraçait sans difficulté les détails de votre naissance, mais rien sur votre encéphalite survenue un peu plus tard.

L'enquête a eu lieu plus de 30 ans après les travaux. Même si ce constat est à peine croyable, il est permis au Québec de faire surveiller des travaux de cette importance par n'importe qui. Il y a un trou béant dans la loi sur les ingénieurs là-dessus. Le trou existait il y a 40 ans, il existait encore il y a cinq ans, et bien pire, plutôt que de le boucher, comprenne qui pourra, le gouvernement envisage de diluer davantage la loi sur les ingénieurs et d'étendre l'erreur plutôt que de la corriger !

La loi devrait prévoir que la surveillance des travaux se fasse avec la même rigueur que la conception de l'ouvrage. Une chaîne est aussi forte que le plus faible de ses maillons, et il y en a un particulièrement faible ici.

Ces quelques idées sont relativement simples à mettre en place, et permettraient de garantir la sécurité du public. Il ne s'agit pas d'un luxe ou d'une extravagance budgétaire. Elles ne requièrent qu'un peu de sérieux de la part des autorités gouvernementales. Nous ne devrions pas attendre les prochaines victimes pour agir. Il y en a déjà eu trop.