Le sommet du Conseil européen des 8 et 9 décembre sera perçu dans l'histoire comme une consécration de la vision allemande, celle d'un sommet de la déflation. L'Allemagne impose donc aux autres pays de la zone euro sa vision de l'austérité, qui exclut la solidarité fiscale avec transferts de revenus. Or, si cette politique fiscale commune ne mène pas à terme à une vraie union fiscale, le risque d'éclatement de l'euro augmentera au lieu de diminuer.

Il est clair que les Allemands ne veulent plus subir l'hyperinflation qu'ils ont déjà connue. C'est pourquoi la monnaie est pour eux rien de moins qu'un bien public intouchable, dont la stabilité est plus importante que les impératifs de croissance à court terme. Et il n'y a pas plus grande menace à la stabilité d'une monnaie que des déficits et des dettes publiques accumulées, qui mettraient inévitablement de la pression sur la Banque centrale européenne pour acheter des obligations souveraines, ce qui alimenterait l'inflation.

Pour ce faire, les Allemands insistent sur la discipline fiscale partout dans la zone euro. Toutes les mesures qui n'assurent pas la stabilité de la monnaie ont été écartées: obligations européennes, union fiscale fédérale avec transferts de revenus et stimulation économique en Allemagne. De plus, il est aussi exclu que la Banque centrale européenne - dont le modèle est la Banque centrale allemande - soit le prêteur de dernier ressort pour les États européens.

La politique fiscale commune et très disciplinée qui vient d'être décidée contribuera à réduire le problème des déficits des comptes extérieurs de la périphérie, mais en forçant la déflation des salaires. En effet, de nombreux pays ont perdu de leur compétitivité à cause du coût d'environ 30% trop élevé de la main-d'oeuvre. Les programmes d'austérité, qui vont réduire la croissance économique, mettront de la pression à la baisse sur les salaires en augmentant le chômage, mais ce processus pourrait prendre de nombreuses années, au prix d'une instabilité sociale et politique grandissante.

Pour éviter ce risque, il aurait fallu que l'Europe opte pour l'austérité mais en conjonction avec une union fiscale au niveau fédéral. On aurait pu ainsi stabiliser les crises des dettes souveraines et des balances des paiements, en permettant des transferts de revenus entre pays, tout en mettant en place un environnement favorable aux gains de productivité dans la périphérie. Il s'agirait d'une voie mitoyenne plutôt que celle choisie, qui mène à la déflation.

Reste à voir si l'Allemagne et la Banque centrale européenne n'assoupliront pas leur politique de monnaie forte une fois que la discipline fiscale sera entérinée, d'autant plus que la croissance en Europe sera faible longtemps, même en l'absence d'une crise financière et de dettes souveraines. Les banques privées de pays comme la France et l'Allemagne doivent aussi réduire leur levier d'endettement - plus élevé que celui des banques américaines -, ce qui ajoutera aux effets déflationnistes des programmes d'austérité, puisque ces institutions consentiront moins de prêts.

La faible croissance économique découlant de ces différentes forces déflationnistes, ainsi qu'un chômage important risquent donc de provoquer une instabilité politique dans les différents pays d'Europe. La démocratie est souvent testée lors de périodes déflationnistes où les crédits et les ressources se font rares et que les sentiments d'injustice et de frustration prédominent.

Souhaitons que ce choix de l'Allemagne soit stratégique - pour appliquer un maximum de pression sur la périphérie afin qu'elles mettent en place les mesures d'austérité -, plutôt qu'un fétiche excessif de la monnaie forte. Si les politiques économiques ne changent pas après que les finances publiques dans les pays endettés soient sur une meilleure voie, ce sommet européen de la déflation pourrait donc contribuer à la naissance de nouveaux mouvements politiques qui pourraient mettre en cause l'existence même de l'euro.