Les incidents récents ayant entraîné la mort de deux itinérants présentant des troubles mentaux lèvent le voile sur la triste réalité de la désinstitutionalisation.

Le temps de couvrir ces «cas isolés», les médias peuvent souligner le manque chronique de ressources en santé mentale, le manque, voire l'absence de coordination entre les différentes instances: travailleurs sociaux, psychiatres, hôpitaux, cliniques externes de psychiatrie, organismes communautaires, familles. Personne ne prend la responsabilité de ces patients, puisque chaque intervenant compte sur l'action de l'autre, ce qui mène trop souvent à une absence d'actions concrètes.

En découle le syndrome des «portes tournantes»: nombreux sont ceux qui entrent dans «le système» pour en ressortir aussitôt, sans avoir reçu les soins et le suivi adéquats... jusqu'à leur prochaine crise. Entre-temps, à la fois l'individu malade et la société s'en retrouvent vulnérabilisés, d'où les suicides fréquents et les attaques sur autrui.

Ce problème majeur est en partie lié à la législation actuelle. Pour contrer les effets pervers des décennies passées où l'on enfermait à tort, et souvent contre leur gré, des individus dans des institutions psychiatriques où les conditions de vie frôlaient l'horreur, on pousse maintenant les libertés individuelles au point de laisser choisir à une personne complètement désorganisée, souffrante et qui n'a plus toute sa tête, d'opérer des choix logiques et de décider d'elle-même des soins qui lui conviennent.

Or, le déni de la maladie mentale est une réaction très commune chez la personne qui en souffre. Le manque de ressources ne permet pas au corps médical en place de convaincre la personne de se faire soigner.

Si au terme d'une garde fermée de quelques semaines, difficile à obtenir sinon que par un processus judiciaire pénible, une personne refuse de se faire soigner, elle sort «du système» et c'est le retour à la case départ. La médication forcée pendant les cures est elle aussi impossible à obtenir autrement que par ordre de la cour.

Les itinérants jouent souvent le premier rôle dans ce mauvais scénario. Malheureusement, il en va de même pour bien des personnes atteintes de maladie mentale. Depuis six mois, je me bats avec ce système pour faire soigner ma cousine de 26 ans qui est schizophrène paranoïaque.

Évidemment, pour elle, elle n'est pas malade. C'est nous qui sommes en déni et disons des mensonges quand nous la confrontons et tentons de lui faire comprendre que des satellites ne peuvent voir à travers son corps et qu'il est peu probable que la télévision lui parle directement.

Évidemment, elle refuse les soins, mais une rencontre de quelques minutes 2-3 fois par semaine avec un psychiatre un peu blasé n'est pas suffisante pour que cette idée fasse son chemin chez elle.

Depuis sa première hospitalisation l'été dernier, elle a fugué trois fois. Trois fois, puisque pour «gagner sa confiance», me dit-on, on la laisse sortir sans surveillance (!) six fois 15 minutes par jour. Ses fugues étaient presque commodes pour l'hôpital... Hop! On passe à un autre appel... Et nous à la case départ.

Le problème d'Élodie (appelons-la ainsi), outre son déni: elle n'est pas violente envers autrui et bien qu'elle ait manifesté des idées claires de suicide, elle cache bien son jeu à l'hôpital (où on ferme habilement les yeux).

De plus, Élodie est prostituée. Or, qui se soucie de la disparition d'une prostituée? Et d'une prostituée schizophrène de surcroît qui refuse de se faire soigner? N'est-ce pas beaucoup plus simple de fermer les yeux jusqu'à son autodestruction?

Un jour, Élodie ne reviendra plus à l'hôpital: suicidée, disparue, assassinée? Ce sera un dossier de plus de réglé dans les statistiques. Ah oui... un autre cas «isolé».