Étudiant en droit, l'auteur réagit au dossier «La tragédie inuit», publié samedi dernier. Sa lettre est cosignée par 60 résidants du Nunavik (voir la liste à la suite du texte).
«La tragédie inuit» n'est pas loin des tracts racistes distribués anonymement dans le quartier Villeray en 2010 au sujet de la résidence pour patients inuits. Ces tracts annonçaient que l'arrivée des Inuits dans ce quartier entraînerait aussi «une augmentation majeure de la criminalité dans votre voisinage, prostitution, trafic de drogues tel que le crack et les methamphétamines, présence de seringues, de condoms, de bouteilles, sur les trottoirs et ruelles, dans les parcs, le vandalisme, les vols et les crimes violents contre la personne, odeurs nauséabondes, gens qui urinent par-ci, par-là».
Votre série fait preuve d'une tendance qui n'est pas loin des préjugés déplorables de ces racistes anonymes de Villeray. Mais vous présentez une histoire dans laquelle nous, «Inuits», sommes meurtriers, alcooliques, décrocheurs, paresseux, itinérants, des parents négligents, et des citoyens insensibles et indifférents envers les enjeux auxquels nous, la population «inuite», faisons face.
Qui plus est, les petits enfants de la 4e année bâillent à l'école. Quelle tragédie! Les pauvres «inuits» de 10 ans, ennuyés à l'école! Les jeunes «Blancs» du sud, ne chuchotent-ils jamais à l'oreille de leurs camarades? Ne gigotent-ils jamais dans leurs chaises, les gamins d'Outremont? Quelle farce!
De l'autre côté, les gens du Sud, dits «blancs» (pourquoi le mot «inuit» n'est-il pas entre guillemets?), ces professeurs francophones du sud qui se veulent saintes familles à la rescousse des pauvres enfants «inuits» qui, «par la force des choses» perdent leur culture. Par quelle force, au juste? Les pensionnats autochtones, projet officiel du gouvernement pour assimiler les jeunes païens sauvages? Le fameux «sixties scoop», projet de signalements par le DPJ et les taux surélevés d'enlèvement d'enfants autochtones?
Ce n'est pas juste, direz-vous: La Presse ne fait que raconter ce que le journal a observé pendant ses gros sept jours d'expérience dans le Grand Nord. Il est vrai, je réplique, que nous éprouvons des problèmes importants dans nos communautés. Mais une histoire unique et unidimensionnelle après une courte semaine passée dans un seul village ne peut donner aux Québécois du sud (car nous sommes les Québécois du nord, non «pure laine» mais plutôt «pure peau de phoque») une idée des nuances, des richesses et du potentiel de la vie nordique.
Aucun reportage sur la sagesse de nos aînés, les succès de nos jeunes, l'innovation de nos systèmes de gouvernance, ni sur l'engagement de notre population en matières économique, politique et sociale dans les villages. Au lieu d'un tel reportage nuancé, une photographie d'un corps canin avec la tête d'un Inuk itinérant, non loin du fameux «White Man's Burden» de Rudyard Kipling qui décrit les pauvres Africains comme «moitié-diable, moitié-enfant».
Selon Chimamanda Adichie «le pouvoir est la capacité de non seulement de raconter l'histoire de l'autre, mais de le présenter comme l'histoire définitive de l'autre.» Nous proposons que La Presse abuse son pouvoir.
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* Les personnes suivantes ont cosigné la lettre :
1. Victoria Okpik
2. Lucy Tukkiapik Carrier
3. Anna Eetook
4. Thomassie Mangiok
5. Victor C Mesher
6. Alacie Irqumia
7. Alacie Nalukturuk
8. Agga Nayoumealuk
9. David Inukpuk
10. Tommy Palliser
11. Yeti Trudel
12. Sarah Baulne
13. Melissa Ruston
14. Lazarussie Epoo
15. Aibillie Patsauq
16. Gillian Warner
17. Gina Jean
18. Jobie Weetaluktuk
19. Uqittuk Mark
20. Lucassie Uitangie
21. Billy Meeko
22. Dora Augiak
23. Bobby Patsauq
24. Etua Putulik
25. Ken Jararuse
26. Jason Annahatak
27. Janice Grey-Scott
28. Jeannie Nayoumealuk
29. Nancy Palliser
30. Cynthia Gaudrault Snowball
31. Ann Grace
32. Lucy Nowra
33. Johnny Papigatuk
34. Nancy Marquand
35. Emily Mesher
36. Sandy Alaku
37. Alicia Ajarutak
38. Betsy Berthe
39. Uttuqi Carrier
40. Curtis Mesher
41. Allison Flowers
42. Paul Okituk
43. Stanley Aloupa
44. Victoria Simigaq
45. Aida Puxley
46. Annie Novalinga
47. Sebastien Brodeur-Girard
48. Stanley Alasuak
49. Alec Aloupa
50. Leah Nowra
51. Marilyn Mesher
52. Lucy Inukpuk
53. Harvey Mesher
54. Laina Grey
55. Johnny Kasudluak, (cité dans la série « La Tragédie Inuite »)
56. Taqralik Partridge
57. Susan Nulukie Mesher
58. Maggie Peters
59. Pat Ekomiak
60. Jeannie V. Tukkiapik
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«C'EST TRISTE, MAIS CE SONT LES FAITS»
Il y a plusieurs mois que la rédaction de La Presse a résolu de se rendre au Nunavik pour parler de décrochage scolaire. Le taux d'abandon scolaire frôle les 80% là-bas. Un tel chiffre, c'est un signal d'alarme qui ne peut laisser personne indifférent. Avant même de partir là-bas, Pascale Breton, notre journaliste spécialisée en éducation, a passé une centaine d'heures à se documenter. Elle s'est rendue une semaine sur place. Au total, avant et pendant son voyage, elle a réalisé une cinquantaine d'entrevues. Toutes avec des résidants du Nord ou des gens qui y ont travaillé.
Elle a constaté de visu que les problèmes sociaux au Nunavik, qui expliquent ce taux de décrochage, sont multiples et graves. Comme le dit justement le directeur de l'école Ikaarvik, Aipilie Kenuayuak: «It's a sad story, but it's the facts». Or, si on veut que ces faits impitoyables changent, le premier geste à poser, c'est d'en parler.
Cela dit, si on considère l'ensemble de la production de Pascale, soit l'équivalent de plus de 5000 mots répartis sur trois jours ainsi que trois vidéos diffusées sur lapresse.ca, on réalise que notre journaliste a eu le souci de présenter des modèles positifs qui émergent de ces communautés. Il faut voir les prouesses sportives de ces jeunes virtuoses du kayak, dans des embarcations qu'ils construisent eux-mêmes sous la supervision d'un professeur. Ou l'histoire de Kyle Hitchison, qui s'illustre dans l'équipe de hockey midget, parrainée par l'ex-hockeyeur Joé Juneau.
Quant à l'image utilisée dans nos pages, dont nous regrettons qu'elle ait choqué nos interlocuteurs, elle nous a été inspirée par le travail de notre photographe, Edouard Plante-Fréchette, qui a suivi pendant cinq années le parcours de deux itinérants d'origine inuite. Il a été profondément touché par la détresse de ces hommes, perdus en ville, coupés de leur culture, qui noient leur désespoir dans l'alcool et la drogue. Or quel symbole plus puissant de la culture inuite que ces chiens de traîneau, dont plusieurs milliers ont été abattus par le gouvernement canadien dans les années 50, causant un tort psychologique irréparable à toute une communauté?
Katia Gagnon et Paul-Émile Lévesque
Directeurs des informations générales