Le parti indépendantiste N-VA a remporté hier les élections législatives en Flandres, partie nord et néerlandophone de la Belgique. La N-VA (Nouvelle Alliance flamande) a comme objectif, à plus ou moins long terme, la séparation de la Flandres de la partie francophone de la Belgique, la Wallonie.

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VOS COMMENTAIRES

Un peu d'histoire

Tout pays peut disparaître un jour, la Belgique comprise. Toutefois, il faut se rappeler que Bruxelles est la capitale administrative de l'Union européenne. Je doute que cette dernière se croiserait les bras et demeurerait indifférente à cette fracture. Et certains craindraient peut-être un effet domino dans leur propre pays: la Catalogne, la Corse, le pays basque ne seraient-ils pas en droit de faire sécession?

Les Flamands et les Wallons, catholiques, se sentaient opprimés par les Pays-Bas protestants. C'est pourquoi Bruxelles se souleva en 1830 en réclamant son indépendance que les grandes puissances européennes ont garanti par le Protocole de Londres en 1831. Jusque vers les années 1950, la Wallonie était la grande puissance économique du pays, grâce principalement à ses charbonnages et aux industries qui en découlaient. La langue française jouissait d'un très grand prestige auprès de la population néerlandophone, à telle enseigne que des écrivains flamands comme Maurice Maeterlinck, Georges Rodenbach et Émile Verhaeren ont écrit en français. Mais il semble que les Wallons regardaient la culture flamande un peu de haut. D'ailleurs, un géographe belge, Georges Kaiser, qui a visité le Québec vers 1890, comparait l'attitude de ses compatriotes francophones à celle des anglophones du Québec envers les Canadiens français! Un renversement de donne en somme.

La Wallonie n'a pas su reconvertir son économie après l'effondrement de son industrie minière. Après la Seconde Guerre mondiale, les Flamands au contraire ont mis le cap sur les nouvelles technologies et le secteur des services. Aujourd'hui, le chômage est deux fois moins élevé chez les néerlandophones que chez les francophones et les Flamands ne veulent plus partager leurs richesses avec ces Wallons misérables. Cela vous rappelle-t-il quelque chose? La querelle linguistique est l'aboutissement d'une grande somme de frustrations de part et d'autre.

Le Québec français a beaucoup de traits communs avec les Franco-Belges. Nos échanges ont été nombreux dans plusieurs domaines. Le développement de la musique au Québec doit beaucoup aux artistes belges qui ont immigré ici. Et n'oublions pas que les Belges ont doté la francophonie de grands grammairiens.

Si la Belgique disparaissait, l'Europe ne serait plus la même. Et nous aussi, peut-être.

Mireille Barrière, historienne

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La fin du commencement

Selon les derniers sondages, 39% de la population québécoise, soit 45% des franco-québécois, voteront pour un parti indépendantiste au parlement fédéral. En Flandres, 40% de la population a voté pour un parti indépendantiste à leur parlement fédéral.

Les comparaisons ont leurs limites, mais nous n'avons pas encore assisté à la fin de la Belgique. Mais pour paraphraser Winston Churchill, ce n'est pas la fin. Ce n'est même pas le commencement de la fin. Mais, c'est peut-être la fin du commencement.

À mon avis, le fossé va continuer à s'agrandir.

Maxime Gagné

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Les «séparatistes» belges

Étrange tout de même cette tendance de tous les journalistes québécois de la presse écrite et télévisée à définir les Belges Flamands qui ont triomphé récemment aux législatives comme des "indépendantistes" voire des "séparatistes" ainsi qu'à référer à un possible "éclatement du pays". Dans le cas de l'éventuelle scission de la Belgique, nos journalistes ne semblent pas juger bon d'employer le terme "souveraineté" alors qu'ici, dans le contexte canadien, la moindre référence à la "séparation" pour désigner le projet du PQ est vue comme une tactique employant la peur et résulte en insultes de la part de ceux qui croient qu'on peut changer de pays sans bouleversements et sans turbulences.

Mathieu Doucet, Montréal

 

 

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Une aberration

Ce petit pays est une aberration. C'est un tout petit pays de 11 millions d'habitants, de moins de 31 000 km carrés, situé entre les Pays-Bas et la France où, à part la ville de Bruxelles, les habitants ne se considèrent pas Belges, mais Wallons ou Flamands. De plus, ils ne semblent pas se soucier beaucoup de leur pays, car on les retrouve partout en Europe sauf en Belgique. Ce pays aurait dû dès le début être séparé entre la France et les Pays-Bas vu sa situation géographique. Le grave problème de ce pays réside dans l'intolérance des deux groupes linguistiques. Le Flamand considère en général que d'apprendre le français est pour lui un abaissement. Idem pour le Wallon. Dans une telle situation, je ne vois pas où ce pays se dirige et cela semble ne pas s'arranger avec le temps. Aussi longtemps que ces deux communautés ne se respecteront pas, je ne vois pas comment ce pays pourra survivre au XXIe siècle. Je sais de quoi je parle. Je suis en Europe depuis quatre ans pour mon travail et je côtoie régulièrement des Belges des deux groupes.

Pierre Gagné

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Un sport national

Je serais fort surpris de l'éclatement de la Belgique. Il semble y avoir un net écart entre la classe politique et la population de ce pays. Les politiciens se chamaillent beaucoup plus que la population. C'est un sport national! Il y aura sans doute une nouvelle entente entre Flamands et Wallons. Ce serait triste que ce pays se désintègre, mais si c'est vraiment cela que les gens veulent, il faut l'accepter. Ainsi va la démocratie. Ce serait quand même fort paradoxal que la capitale de l'Europe connaisse un tel destin! Mais je serais surpris, je le répète, qu'on arrive à ce résultat.

Michel Lebel

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Un peu tôt

Un parti indépendantiste a été élu plusieurs fois au Québec et nous ne sommes pas encore séparés. Il est un peu tôt pour affirmer que la Belgique sera démantelée.

François Verret

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Intolérance pure et simple

Pour avoir séjourné en Belgique près de sept mois en deux ans, je dois dire que la tension linguistique se fait davantage sentir qu'au Québec. Mon coeur de nationaliste était à l'écoute pour voir ce que faisait ce pays multilingue et multiculturel de ce genre de question. Je dois dire que j'ai assisté à des scènes d'intolérance pure et simple. Prenons, par exemple, le cas du bilinguisme.

Moi et mon conjoint de l'époque, Français, n'avions aucun mal à nous faire servir en français dans les milieux néerlandophones, étant donné que nous étions identifiés non-Belges grâce à notre accent. Par contre, il était difficile pour un Wallon de se faire servir en français. En outre, la grande majorité des Flamands parlent un français excellent, mais peu de Wallons parlent un flamand exemplaire. Certes, il s'agit d'une langue difficile et fastidieuse à apprendre pour un francophone, et il est facile de verser dans l'argument qui dit que le français est infiniment plus exportable que le flamand. Cependant, cela ne justifie en rien de ne pas faire l'effort de l'apprendre. Par ailleurs, cela n'est qu'un des nerfs de la guerre. Abordons mes connaissances (superficielles, je l'admets) de l'économie belge d'un point de vue historique. À l'époque où la métallurgie faisait la richesse du Hainaut et du Brabant Wallon, les francophones faisaient beaucoup d'argent, et ont soutenu la communauté flamande. À présent, le taux de chômage dans ces régions, particulièrement du Hainaut, atteint plus de 20% par endroits. Certaines personnes font du CPAS (l'équivalent de l'aide sociale) un mode de vie. Les montants étant assez substantiels, il est parfois plus avantageux pour une personne isolée de demeurer sur cette mesure que d'aller travailler au salaire de base, qui est mensuel et non horaire.

La Flandre ne souhaite plus «traîner ce boulet économique». Dommage pour le retour de balancier. Simplement en vous promenant en Flandre vous constatez que leur économie est plus forte, il y a beaucoup plus de demeures luxueuses, et les communes flamandes sont rarement cataloguées comme non fréquentables. François Pirette, un humoriste, disait dans son sketch de Miss Belgique: «Je suis comme la Belgique, pour vrai. Le cul au nord (Wallonie) la tête au sud (Flandre).» Cela illustre bien l'idée que les gens ont de la question. Ce n'est pas parce qu'on rit que c'est drôle...

De plus, dans les régions plus francophones, le taux de syndicalisation est très élevé. Ça pourrait être une excellente chose, mais malheureusement plusieurs abusent du système, sachant qu'ils sont quand même rétribués à 100% lors de congés de maladie sans aucun jour de carence. Les grèves sont nombreuses et souvent peu justifiées (du moins, à mon sens de Nord-Américaine) et des gens d'une grande malhonnêteté passent parfois ainsi entre les mailles du filet. J'ai eu vent d'un représentant syndical dans une chaîne de supermarchés internationale qui consommait des aliments sans les payer depuis très longtemps, et obtenait souvent de faux papiers de médecin. Au bout de la énième offense, après plusieurs années, il a perdu son emploi, mais le syndicat a forcé pour le réintégrer en emploi sans aucune sanction, et ils ont gagné! La mentalité est fort différente du côté flamand, où l'on est davantage «by the book» et dévoué au travail. On vous montre la porte plus rapidement si vous ne faites pas l'affaire, je crois. Je ne suis absolument pas pour la toute-puissance de l'employeur, et je crois qu'il existe là-bas aussi du licenciement abusif, mais ce genre de cause créait souvent des discordes culturelles basées sur de la généralisation indue.

Je pense que les deux communautés auraient leur bout à faire sur la question. Ce n'est pas le désir d'indépendance qui est illégitime, ce sont certaines raisons parfois invoquées que je trouve douteuses. Bien que lors de passages à la télévision internationale, le parti nationaliste flamand semble fort policé, il n'en est pas de même du Vlaams Belang, le parti ultra-nationaliste. Du temps de ma résidence à Bruxelles, de nombreux tracts racistes et à la limite fascistes de ce groupe politique ont atterri dans ma boîte aux lettres. Je me souviens même d'avoir vu des gens piétiner des hidjabs (les communautés musulmanes turque et marocaine sont très présentes en Belgique francophone, et ce parti a des positions à la Le Pen sur la question...). Ça ne vous questionne pas, vous? Je crains que ce groupuscule ne profite de l'indépendance pour ratisser plus large et emmener des gens dans l'intolérance. Je ne dis pas que tous les Flamands sont des fachos, je ne dis pas que tous les Wallons sont des assistés. Loin de moi cette idée. Mais beaucoup d'éléments de conflit sont présents entre eux, il est impossible de le nier, et cela donne parfois dans l'excès. Puisse une éventuelle séparation ne pas occasionner de montée de l'extrémisme de droite ou de nettoyage ethnique.

La Belgique est un petit pays culturellement très riche (splendeurs architecturales de Horta côtoyant milieux urbains aux lignes style Bauhaus, musées, monarchie, vestiges de guerre, souvenirs napoléoniens, culture de la bande dessinée immense, délices houblonnés et chocolatés, etc.). J'en suis tombée amoureuse également grâce à son immense diversité culturelle. Siège des installations de l'Union européenne, on peut se promener au square Ambiorix à Bruxelles et entendre plus de 20 langues différentes, le tout dans une cohabitation assez pacifique. N'est-il pas triste, et d'un symbolisme douloureux, de voir le pays hôte de l'Europe multiculturelle éclater pour ce même genre de question? Ironie du sort...

Il est question de rattachement à la France pour la partie wallonne, mais que fait-on de la petite communauté germanophone? Par ailleurs, il va falloir tenir compte de différences culturelles marquées si tel est le cas, et de très importantes modifications fiscales auront lieu... et Bruxelles, officiellement bilingue, où la met-on? Il n'y a qu'à voir le tollé autour de l'arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvoorde pour voir que cela ne se passera pas en douceur et en facilité... il est clair que personne ne voudra laisser aller la capitale. Bruxelles deviendra-t-elle une ville-État, à la manière d'un Vatican de la politique européenne?

En somme, j'éprouve de la tristesse par rapport à cette possibilité, probablement compte tenu de mon attachement à la Belgique entière, et à mon regard de touriste. Probablement qu'il me manque beaucoup de données pour comprendre, mais ça me serre le coeur. Je peux comprendre le besoin de se séparer pour cause de différences culturelles marquées (autrement je me verrais mal en souverainiste), de gestion inadéquate des ressources de chaque province, ou même de désir de prospérer sans boulet à la cheville, mais il n'en demeure pas moins que dans cet endroit qui est un symbole de fusions culturelles compte tenu de l'Union européenne, ça risque de frapper un grand coup. Le roi Albert doit se sentir comme Dagobert: bien mal culotté...

Dominique Jodry-Lapointe