La musique de Maria Sharapova s'époumonant sur le central à chaque frappe était sans doute aussi douce qu'un cri de Rafael Nadal quand il frappe son coup droit.

De toute façon, les gradins étaient remplis à capacité. Y avait pas un siège où déposer un cul dans le stade Uniprix. Sold out. Comme tout sera vendu ce soir, et vendredi et samedi et dimanche.

Pourtant, si elle gagne le tournoi, Maria Sharapova, même si elle a généré les mêmes revenus aux guichets, va toucher presque la moitié moins que Nadal vient de gagner à Toronto.

Injustice? Iniquité salariale? Exploitation des filles?

Comment cela se fait-il qu'à Montréal où les filles remplissent le stade de tennis autant que les hommes, comment se fait-il qu'elles touchent beaucoup moins d'argent?

Comment cela se fait-il que l'an prochain, alors que les filles vont toucher 2 millions pour la Coupe Rogers, les hommes vont recevoir 3 millions?

Dans les tournois du Grand Chelem, on avait une explication quand les bourses étaient plus élevées pour les gars. On disait que les hommes, en jouant des trois de cinq, méritaient plus d'argent que les filles et leurs deux de trois. De toute façon, il n'y a plus de questions à discuter puisque hommes et femmes méritent maintenant les mêmes bourses.

Mais dans le reste du monde? Et surtout au Canada où le tennis féminin attire autant de clients que le tennis masculin, pourquoi une si grande différence?

«On a aligné nos bourses sur les barèmes internationaux. Partout dans le monde, à l'exception des tournois du Grand Chelem, les bourses du tennis féminin sont inférieures à celles des hommes», soutient Eugène Lapierre, directeur technique de la Coupe Rogers.

«Les droits internationaux de télévision sont moins substantiels. Les filles attirent des audiences moins importants à la télé et, de ce fait, les revenus sont moins intéressants.

«Et puis, le produit que je paye n'est pas le même. L'ATP, l'organisme qui gère le tennis masculin, garantit aux tournois Masters les 10 meilleurs joueurs au monde et, en fait, pratiquement tous les 50 meilleurs qui sont tenus de disputer ces neuf tournois. La WTÀ ne peut me garantir plus que six des 10 premières au monde. Et encore. J'espère que personne n'a oublié le désastre de 2006 alors qu'on s'est retrouvé avec un tournoi décapité. L'an prochain, on me garantit la présence de sept des 10 premières. Mais on connaît le tennis féminin, les blessures et les malaises sont nombreux», de dire Lapierre.

Il y a plus. Les commanditaires sont plus intéressés à investir dans le tennis masculin parce que la compétition est plus franche, plus féroce. Lapierre explique que les gars sont des compétiteurs naturels. «Ils sont toujours prêts à s'affronter. Des joueurs de club se retrouvent, ils se réchauffent un petit cinq minutes et ils sont prêts à s'empoigner dans un match. Gagne ou perd, on veut s'affronter. Les filles ne semblent pas prêtes à en découdre trop souvent. Je ne sais pas pourquoi mais elles ne semblent pas avoir cet instinct. C'est toujours compliqué de les convaincre d'augmenter le nombre de matchs qu'elles pourraient disputer.»

Quand Lapierre parle de produit, il parle évidemment de la qualité du plateau que la WTA est prête à lui garantir. Parce que le tennis féminin depuis une dizaine d'années offre un très bon spectacle. Tant en qualité qu'en profondeur. Le temps où seules deux ou trois têtes de série servaient de locomotive au tennis féminin est révolu. En heures de grande écoute, une finale entre les soeurs Williams au US Open suscitait autant d'intérêt qu'une finale Sampras-Agassi. De plus, les joueuses ont développé une mise en marché fondée sur le glamour qui les sert bien. Elles sont belles, elles sont sexy et on le sait depuis Anna Kournikova, il y a moyen de faire des dizaines de millions en jouant la carte du star system. C'est tellement vrai que Nadal joue lui aussi de son machisme espagnol avec tout ce que ça peut provoquer comme réactions dignes du club 281.

Dans la vie, on n'a pas ce qu'on mérite, on a ce qu'on négocie. Si les filles se regroupaient dans une association solide et unie, si elles acceptaient de s'engager dans une véritable relation d'affaires avec les promoteurs du tennis sur les cinq continents, si elles acceptaient de sacrifier un peu de leurs défilés de mode et de leurs couvertures de magazines de design pour investir davantage dans le sport lui-même qu'est le tennis, elles pourraient renverser la vapeur facilement.

Parce qu'elles offrent maintenant un spectacle de très haut niveau. Dès les premiers jours du tournoi. Surtout sur les surfaces rapides que sont le gazon et le ciment.

Mais faudrait que le tennis soit quelque chose que les filles de l'élite, les grandes stars, celles qui font monter les prix, aiment vraiment. Pas juste un prétexte à vendre des montres Rolex.

Dans le calepin

Eugène Lapierre a confirmé, hier, que le centre de tennis du parc Jarry allait compter quatre courts de terre battue. Il a précisé qu'on allait construire quatre nouveaux terrains et non transformer quatre terrains actuels. «Quand l'élite ne sera pas à l'entraînement, tous les joueurs pourront s'en servir», a-t-il indiqué.