En moins de temps qu'il n'en faut pour crier «censure», le gouvernement conservateur vient d'abolir deux programmes de soutien aux artistes destinés à promouvoir la culture canadienne à l'étranger.

La semaine dernière, le gouvernement Harper a confirmé l'abolition du programme PromArt du ministère des Affaires étrangères, doté d'un budget de 4,7 millions. Il a aussi annoncé l'abandon du programme «Routes commerciales» du ministère du Patrimoine (9 millions), au terme de la présente année fiscale.

La disparition du programme PromArt, qui a notamment permis à la troupe Ex Machina, de Robert Lepage, au cirque Les 7 doigts de la main et aux Grands Ballets canadiens de faire des tournées à l'étranger (grâce à quelque 500 000 $ en subventions), ne surprendra personne dans la mesure où elle était pressentie depuis plusieurs mois.

Ce qui surprend davantage, ce sont les raisons invoquées pour justifier l'abolition du programme. Les conservateurs auraient pu s'en tenir à l'excuse classique de la «contrainte budgétaire» pour expliquer l'abandon de PromArt.

Le gouvernement, par voies officielle et officieuse, a préféré jouer «franc jeu». C'est tout à son honneur (même si personne n'est dupe de cette manoeuvre qui vise à contenter sa base ultraconservatrice). Ce qui l'est beaucoup moins, c'est qu'il admette sans gêne qu'il a aboli un programme de subventions parce qu'il bénéficiait à des artistes «radicaux» de gauche et à des «marginaux» qui ne seraient pas, selon les conservateurs, de «fiers représentants du Canada à l'étranger».

Certains de ces ambassadeurs de la culture canadienne auraient été jugés «offensants» par le gouvernement conservateur. Sur l'autel de la rectitude politique a donc été sacrifié le groupe rock expérimental Holy Fuck, qui vient de faire fureur aux Eurockéennes de Belfort, et à qui l'on a consenti 3000 $ de subventions...même si le mot «fuck» compte pour la moitié de son appellation d'artiste non contrôlée. Imaginez le scandale dans les chaumières de Red Deer.

Offensant...Tiens, ça me rappelle quelque chose. N'est-ce pas le terme exact utilisé dans le fameux projet de loi conservateur C-10, qui veut rouvrir la porte à la censure cinématographique? Deux morceaux de robot. Il y a d'ailleurs une ironie certaine à voir les conservateurs s'exciter à nouveau le poil des jambes à propos de noms d'artistes et d'oeuvres faisant référence à l'acte reproductif. Le film Young People Fucking a été maintes fois cité en exemple dans la croisade conservatrice en faveur du projet de loi C-10.

Dans la comédie burlesque qu'est la gestion de la culture par le gouvernement Harper, nous n'en sommes, je le crains, qu'aux premiers actes. Car si un gouvernement peut déclarer sans ambages et sans crainte de représailles (aux urnes, s'entend) qu'il sabre l'aide aux artistes à l'étranger pour des motifs purement idéologiques, c'est que le pire reste à venir.

J'exagère? Malheureusement pas. Non seulement les porte-parole conservateurs ont-ils confirmé que le nom du groupe Holy Fuck avait contribué à l'abolition du programme PromArt, mais ils ont admis qu'une subvention de 5000 $ au documentariste et ancien animateur de la CBC Avi Lewis, qui se trouve à être le mari de la militante altermondialiste Naomi Klein et qui travaille pour le réseau anglais d'Al-Jazira, avait aussi motivé cette décision.

J'en entends déjà parmi vous qui rouspètent: pourquoi MON argent servirait-il à subventionner des artistes alors que nos routes et nos ponts sont en état de délabrement avancé? Entre autres raisons parce l'investissement dans la culture, et dans son rayonnement hors de nos frontières, est «payant», même au sens où l'entendent les conservateurs. La preuve du retour sur l'investissement en matière de culture a été faite plusieurs fois, et de manière incontestable.

On se pète les bretelles du succès à l'étranger du Cirque du Soleil, notre plus grand ambassadeur culturel (et l'une de nos entreprises les plus florissantes). Pensez-vous que le Cirque est devenu ce qu'il est sans l'aide des institutions publiques? Soit, il ne reçoit plus de subventions depuis 1992. Mais il a été créé en 1984. Faites le calcul.

Les Grands Ballets canadiens ont ouvert il y a quelques semaines une série de spectacles à Paris devant un parterre de ministres, de dignitaires et de journalistes. La troupe Les 7 doigts de la main est au Brésil ces jours-ci, elle aussi grâce en grande partie au programme PromArt.

Il ne viendrait à l'esprit de personne, cette semaine, de remettre en question les subventions versées aux athlètes canadiens afin qu'ils représentent leur pays aux Jeux olympiques. Mais pour les artistes qui se produisent à l'étranger en faisant rayonner la culture canadienne, il semble que ce soit une autre paire de manches.

Est-ce pour contester le non-respect de la liberté d'expression par le gouvernement chinois que Stephen Harper a refusé d'assister à la cérémonie d'ouverture des Jeux de Pékin? Espérons que non. Couper les vivres aux artistes canadiens, sous prétexte qu'un groupe au nom de Holy Fuck a touché 3000 $ pour une tournée en Grande-Bretagne, si ce n'est pas de la censure, c'est que je m'appelle Mao Tsé-toung.

Savez-vous combien ont coûté aux contribuables canadiens, en huit mois, les dépenses de voyage de Maxime Bernier alors qu'il était ministre des Affaires étrangères? Exactement 140 000 $. La belle image qu'il a donnée du Canada à l'étranger...

Plutôt que de tenter de bâillonner les artistes canadiens en décidant de ce qu'il est ou non de bon ton de présenter hors de nos frontières, plutôt que de soutenir un discours réactionnaire en nourrissant volontairement les préjugés envers les artistes, Stephen Harper devrait se concentrer sur une mission beaucoup plus importante: cesser de ternir la réputation du Canada à l'étranger. C'est bien mal parti.