Si vous avez été surpris d'apprendre, hier, que les deux policiers de Montréal-Nord impliqués dans la mort de Fredy Villanueva n'avaient toujours pas été interrogés par la SQ, trois jours après le drame, vous n'êtes pas seul.

André Marin est, lui aussi, «flabbergasté», comme on dit à Toronto.

«Dans toute enquête criminelle compétente, on veut interviewer les témoins immédiatement après les faits ! C'est à ce moment que les témoignages sont les plus fiables, que la preuve est la plus fraîche. Pas une semaine après.»

Désolé, je ne vous ai pas présenté André Marin, un Franco-Ontarien, ancien substitut du procureur de la Couronne, qui s'est fait connaître en Ontario comme directeur de l'Unité des enquêtes spéciale de l'Ontario, de 1996 à 1998.

Quand un policier ontarien tue ou blesse gravement un citoyen, l'UES entre dans le décor, pour enquêter. Et elle entre dans le décor immédiatement. À titre de directeur de l'UES, Marin décidait, au final, s'il y avait lieu de déposer des accusations criminelles contre un policier.

Bref, la police, André Marin connaît. Et ce qu'il entend du dossier de Montréal-Nord lui fait dresser les cheveux sur la tête. Son jugement est sans appel : «On ne peut pas avoir confiance en cette enquête.»

Une seule chose compte

Quand il a appris, hier matin, que trois jours après les faits, les deux policiers de Montréal-Nord n'avaient toujours pas été interrogés par la SQ, il n'en croyait pas ses oreilles. Le policier qui a fait feu n'a pas à témoigner, nul n'étant forcé à s'incriminer. Mais la coéquipière, «le policier-témoin», comme il la désigne, est obligée de témoigner, en tant qu'agent de police ayant assisté à un acte potentiellement criminel.

«J'ai lu des déclarations de la SQ qui disent que le policier qui a tiré sur le citoyen n'est pas un criminel. Ce n'est pas pertinent ! Ce qui compte, c'est de savoir une chose, une seule : est-ce que le policier a commis un acte criminel au sens du Code criminel ? La SQ doit cesser de protéger les policiers dans ses déclarations.»

Et l'article 34 du Code criminel sur la légitime défense est limpide, note André Marin. Il exige deux tests, l'un est subjectif (y a-t-il lieu de croire que la vie de quelqu'un est en danger ?) et l'autre est objectif (y a-t-il motif raisonnable de croire qu'il fallait causer la mort pour éviter une mort ?).

Un voleur entre chez vous. Vous l'abattez. Vous dites avoir agi car vous sentiez votre vie menacée. Eh ! bien, les enquêteurs interrogeraient les témoins immédiatement. Pas trois jours après.

Des enquêteurs qui arrivent dans un parc où un policier a tué un citoyen parce que celui-ci craignait pour la vie de sa coéquipière devraient faire la même chose, décrète André Marin.

À la fin, une seule question compte, dit-il, dans le cas de Montréal-Nord ou de tout incident où un citoyen est tué par un policier : «Le policier a-t-il commis un acte criminel ou pas ?»

Pour répondre à cette question, dit Marin, il faut une enquête policière menée selon les règles de l'art.

«La seule façon de faire une enquête objective et crédible, c'est d'arriver en masse et d'interroger tous les témoins. Dont les policiers. À chaque minute qui passe, le témoignage du policier-témoin de Montréal-Nord, celui qui n'a pas tiré, est affaibli.»

La police qui enqu�ªte sur la police

Depuis 2005, Marin est ombudsman de la province de l'Ontario. Il a occupé le même poste aux Forces armées canadiennes, de 1998 à 2006. Je l'ai appelé parce que son passage à l'UES fut bref, mais marquant : il n'a pas la langue dans sa poche. Je me doutais bien qu'il aurait un son de cloche intéressant à apporter sur le principe de la police qui enquête sur la police, un principe qui n'est pas unique au Québec.

L'ombudsman ontarien est sidéré par la fameuse « politique ministérielle », cette directive qui fait qu'au Québec la police enquête sur les drames impliquant la police. Le SPVM enquête sur la SQ ; la SQ enquête sur le SPVM ; la SQ enquête sur les corps municipaux. C'est terrible pour l'apparence de transparence.

«La police ne peut pas enquêter sur la police. En Ontario, l'Unité des enquêtes spéciales est composée de civils. Il y a d'anciens policiers, oui, qui ne peuvent enquêter sur leurs employeurs. C'est une unité indépendante, dont le directeur, pas la Couronne, décide de porter des accusations ou non.»

On pourrait croire qu'André Marin a une dent contre la police. C'est ce que croyaient certains policiers, du temps où il était directeur de l'UES ontarienne. Il jure pourtant qu'une enquête criminelle prompte (l'UES décide en 30 jours si des accusations seront portées), complète et indépendante dans un cas tragique impliquant un policier est une excellente chose non seulement pour le public mais aussi pour le policier lui-même.

La le�§on pour Montr�©al-Nord ?

«L'enquête telle qu'on la voit se dérouler à Montréal-Nord nuit au policier qui a tiré sur ce citoyen, dit André Marin. S'il est blanchi, les règles de l'art d'une enquête criminelle n'auront pas été respectées.»