Quand le prix du pétrole s'est mis à grimper et à grimper, pour doubler en moins d'un an, bien des bonzes du monde financier niaient avec la plus grande énergie le fait qu'il puisse y avoir de la spéculation là-dedans.

Mais si les prix du brut se sont dégonflés, comme ils l'ont fait depuis un mois en passant de 147$ à environ 115$ le baril, c'est qu'il y avait une balloune à dégonfler. Et qu'il y avait quelque chose d'artificiel dans les prix astronomiques qui ont provoqué l'inquiétude, frappé les consommateurs et malmené l'économie.

Cette chute des prix de 25% est significative. Ses effets seront importants, parce que cela permet d'écarter les scénarios de catastrophe, comme le baril à 200$, et que des prix pétroliers plus raisonnables modifient de façon heureuse les perspectives d'inflation et de croissance économique.

Et pourtant, les analystes et La Presse financières ne semblent pas donner à cet événement l'importance qu'il mérite. Sans doute parce qu'on préfère les mauvaises nouvelles aux bonnes. Cette discrétion, me semble-t-il, tient aussi au fait que cette baisse du brut contredit ce que trop de monde a affirmé avec la plus grande autorité.

L'augmentation des prix du pétrole s'inscrit très clairement dans une tendance lourde. La demande pour le pétrole est en hausse, notamment en raison des besoins des pays émergents. La production mondiale ne suffira pas, tant et si bien qu'il y aura une situation de déséquilibre marquée par la rareté de la ressource et la recherche de nouvelles sources d'approvisionnement de plus en plus coûteuses. Tout cela mène à une progression substantielle et irréversible des prix pétroliers.

Mais à cette tendance de fond s'est greffé un élément spéculatif. On peut en démontrer l'existence par l'absurde. Si les prix ont baissé du quart depuis un mois, est-ce que cela signifie que le contexte énergétique est 25% moins préoccupant qu'il ne l'était il y a quatre semaines? Évidemment pas.

On a observé un afflux de capitaux sur les marchés pétroliers, en partie parce que le faible dollar américain a cessé d'être une valeur refuge, ce qui a fait en sorte que le brut s'est comporté comme les autres commodités, avec des fluctuations de prix marquées et le dérèglement auquel nous ont habitués les marchés financiers.

Cela a d'ailleurs donné naissance à un genre nouveau. Les efforts pour expliquer de façon rationnelle les fluctuations erratiques des prix du brut sont devenus une forme d'art: un cheik qui a la rougeole, le bris d'une plate-forme pétrolière, un mot de trop du président russe. Tout était bon pour justifier a posteriori ce qui était largement un jeu pyramidal où les opérateurs du marché parient sur les soubresauts du monde énergétique et tentent d'«anticiper les anticipations».

Le sommet a été atteint au début du mois, quand on a sentencieusement expliqué une baisse du prix du baril de quelques dollars par le fait que la tempête tropicale Edouard qui s'approchait des côtes du Texas ne s'était pas transformée en ouragan. Après la météo, il ne manquera plus que l'astrologie.

Qu'est-ce qui a dégonflé cette bulle? Paradoxalement, les apôtres du marché avaient oublié d'intégrer à leurs prévisions un élément pourtant central, les lois du marché, le jeu de l'offre et de la demande. Les prix élevés ont provoqué une baisse de la consommation, ils ont également amplifié le ralentissement économique, tant et si bien que la demande pour les hydrocarbures a baissé.

Où cela nous mène-t-il? Si certains parlent encore d'une augmentation à 200$ le baril du brut, de nombreux prévisionnistes sérieux s'attendent plutôt d'ici l'an prochain à ce que le brut retrouve des prix inférieurs à 100$ le baril.

Déjà, ce tassement des prix pétroliers fait sentir ses effets. Par exemple, aux États-Unis, il permet de croire que les perspectives d'inflation seront moins dramatiques, ce qui mène à des taux d'intérêt moins élevés et à un ralentissement moins prononcé. Au Canada, le taux de change du dollar canadien a perdu quelques cents, ce qui n'est pas une mauvaise chose.

Mais cela ne doit pas faire oublier les tendances de fond. Il y a un risque bien réel, si le litre d'essence repasse sous la barre d'un dollar, que les gens oublient, qu'ils retrouvent leur insouciance jusqu'à la prochaine crise.

Ce serait une grave erreur. Si le prix du brut retrouve des niveaux plus raisonnables, il ne faut pas revenir à nos vieilles habitudes. Il faut plutôt profiter d'un contexte plus serein et moins contraignant pour continuer ce que nous avons commencé, réduire notre consommation d'hydrocarbures.