C'est une idée toute simple: réunir entre 30 et 40 personnalités connues du grand public, les installer devant une caméra et leur accorder entre 30 secondes et 2 minutes pour qu'elles persuadent les Québécois de ne pas voter pour Stephen Harper. L'idée est simple, mais elle est aussi un brin subversive puisqu'il s'agit de prendre parti contre un seul homme et son idéologie en pleine campagne électorale et cela en toute indépendance, politique et financière. Impossible?

Peut-être, mais il y a présentement à Montréal au moins deux groupes, totalement indépendants l'un de l'autre, qui tournent ou ont tourné des pubs invitant les Québécois à voter contre l'équipe Harper. Le premier «commando» est tellement parano qu'on ne peut révéler le nom du réalisateur qui a tourné avec une quinzaine d'artistes des témoignages qui seront montés et diffusés sur le web et peut-être dans les salles de cinéma.

En revanche, on peut parler du projet «30 secondes contre Harper» mis au point par la cinéaste Anaïs Barbeau-Lavalette et ses amis, le comédien et cinéaste Émile Proulx-Cloutier et Mélanie Charbonneau de la Société des arts technologiques.

Le tournage de ce qui deviendra peut-être une série de capsules pour le web, un DVD ou une pub pour les salles de cinéma a débuté hier matin.

Avec une équipe technique entièrement bénévole, de l'équipement et un studio prêtés et des Tim Bits de Tim Hortons comme seule récompense, Émile et Anaïs tourneront cette semaine et la semaine prochaine ce qu'ils décrivent à la fois comme une campagne de pub et un geste citoyen fait par des électeurs inquiets pour leur avenir surtout si celui-ci doit se déployer sous un ciel conservateur.

L'idée est née un matin, alors qu'Émile Proulx-Cloutier, 25 ans, a ouvert son journal et lu que les conservateurs de Harper étaient plus forts que jamais au Québec. «Je me suis mis à interroger mon entourage et à me rendre compte que tout le monde était contre un gouvernement Harper, mais comme ils étaient tous isolés chacun chez soi, ils se sentaient impuissants à y changer quoi que ce soit.»

Pour sa part, Anaïs s'est demandée ce que, personnellement, elle pouvait faire pour modifier le cours des choses. La réponse a mis du temps à venir. «Dans le fond j'attendais que quelqu'un quelque part organise quelque chose. Le jour où j'ai compris que si je ne faisais pas moi-même un geste, personne ne le ferait à ma place, j'ai dédié d'agir.»

Les deux amis ont alors sauté sur le téléphone et appelé plus d'une centaine d'acteurs, de metteurs en scène mais aussi d'écologistes et de militants en leur lançant l'invitation suivante: «Si, comme nous, vous croyez que le gouvernement Harper doit tomber, nous vous invitons à prendre part à cette initiative citoyenne et 100 % indépendante et à nous confirmer rapidement votre disponibilité.»

Les participants rédigent eux-mêmes le mot qu'ils livrent à la caméra. Ils peuvent aussi choisir de se taire pendant que la caméra filme leur visage, signataire silencieux de cette pétition visuelle. S'ils parlent, ils doivent respecter une seule consigne: que leur prise de parole soit tout sauf gueularde, revancharde et vindicative.

«On veut s'adresser à l'intelligence et à l'humanisme des gens, explique Anaïs. On n'a pas lancé cette invitation pour que les acteurs viennent se défouler en gueulant.»

Émile abonde dans son sens: «Moi, quand ça commence à gueuler, je décroche. Si on veut que les gens écoutent, il faut parler avec des mots simples et sincères qui vont les rejoindre.»

L'acteur Christian Bégin a été un des premiers à répondre à l'appel la semaine dernière. Puis, voyant que les choses ne bougeaient pas assez vite et que les confirmations de ses camarades de travail tardaient à se manifester, il a rédigé un petit mot à leur intention: «Je ne peux plus rester muet dans ma maison. Il faut que ma voix trouve d'autres voix pour dire non à ce qu'on décide pour moi, pour mon fils et mes amis. Alors je vous invite à lire l'invitation lancée par Émile et Anaïs et à y répondre positivement, solidairement. Notre mobilisation est notre seul pouvoir.»

Hier matin, dans le studio de télé prêté gracieusement par l'INIS, Raymond Bouchard a été un des premiers à prendre la parole et à inviter ses concitoyens à voter contre le gouvernement Harper. Jusqu'à maintenant, une trentaine de personnalités du monde culturel et écologique ont promis de passer au studio et de livrer leur message anti-Harper mais tant qu'ils ne l'auront pas enregistré en bonne et due forme, Émile et Anaïs préfèrent taire leurs noms. Cette discrétion n'est pas inutile. Car même si la vaste majorité des membres de la communauté artistique sont anti-Harper, tous n'ont pas la même liberté de parole. Les personnalités associées à des marques ou à des commanditaires devront sans doute s'abstenir de prendre position publiquement. Idem pour celles qui sont directement à l'emploi du gouvernement fédéral.

Depuis le déclenchement de la campagne électorale, Émile et Anaïs trouvent que Stephen Harper a de plus en plus l'air d'un acteur qui se cache derrière un masque. Imaginez leur bonheur si une bande d'acteurs parlant à visage découvert réussissaient à le démasquer.