Le constat est aussi brutal que lucide. «Au plan des communications et des perceptions, dans cette campagne, le Bloc québécois nous a battus à plate couture.»

À trois jours du vote, le candidat conservateur dans Sherbrooke, André Bachand, dressait hier matin un bilan cru des 35 derniers jours.

 

Il n'est pas le seul. Et si M. Bachand est serein devant l'imminence de la défaite, d'autres, par contre, commencent déjà à chercher, voire à désigner des coupables.

Depuis quelques jours, une douzaine de candidats et d'organisateurs ont confessé leur déception devant cette pauvre campagne. Ils reprochent au parti d'avoir tout centralisé à Ottawa au lieu d'établir un vrai war room au Québec. Ils critiquent la stratégie contre le Bloc québécois. Ils dénoncent les messages négatifs et rebutants de la campagne nationale. Ils s'accusent entre eux d'avoir torpillé leurs chances par des déclarations malheureuses ou, pire, par l'absence de réaction. Ils parlent de la guerre malsaine, dans l'entourage de Stephen Harper, entre partisans de l'ADQ et ceux du PLQ. Et ils s'inquiètent sérieusement pour l'avenir du parti au Québec.

André Bachand n'accuse personne et ne cherche pas de responsable, mais il concède sans détour que la campagne conservatrice au Québec a complètement raté sa cible.

«Le bilan de M. Harper est tellement bon au Québec, il aurait fallu le publiciser davantage. Moi, je l'ai fait et je continue à le faire tous les jours, mais nous ne contrôlons pas tout dans les régions. La campagne n'a pas assez insisté là-dessus, et le Bloc nous a battus à plate couture dans la bataille des communications.»

Selon M. Bachand et plusieurs de ses collègues, le Parti conservateur a souffert pendant toute la campagne d'un grave problème de perception. Un problème exacerbé par des attaques particulièrement efficaces du Bloc québécois.

Fernand Blanchard, le directeur de campagne de Patrick Clune, candidat dans Saint-Lambert rencontré hier après-midi dans un rassemblement à Longueuil, admettait franchement que les coupes dans les programmes culturels ont miné leurs efforts auprès des électeurs.

«Dans les faits, le gouvernement Harper a augmenté les budgets de la culture, mais la perception, c'est qu'on les a réduits, dit-il. Alors, il faut expliquer tous les jours, presque à toutes les portes. Ça nous ralentit, c'est certain.»

Même Stephen Harper a admis hier que le dossier de la culture avait court-circuité sa campagne au Québec. «Certains groupes ont fait du bruit autour de la culture, tellement de bruit que les Québécois ont eu du mal à entendre notre message», a lancé le premier ministre en ajoutant que, en réalité, son gouvernement avait augmenté les budgets de ce secteur.

Déjà, des conservateurs influents au Québec commencent à montrer du doigt les coupables de ce fiasco. «C'est Josée Verner qui a tout bousillé, pas Stephen Harper. Elle devait corriger le tir et elle ne l'a pas fait», dit une source fiable très au fait du dossier.

En plus de traîner la culture et les jeunes contrevenants comme des boulets, les conservateurs se sont tiré dans le pied en insistant trop lourdement sur les publicités négatives. Voilà du moins ce que pense un organisateur de la couronne Nord de Montréal.

«En 2006, la campagne de peur contre Harper n'a pas fonctionné parce qu'il avait une campagne positive, parce qu'il avait des choses à proposer, indique notre organisateur. Cette fois, ce n'était que des publicités négatives.»

André Bachand fait la même analyse: «Les gens n'ont pas apprécié les publicités négatives, surtout celles contre Stéphane Dion, qui n'était même pas un adversaire pour nous.»

La publicité contre les coûts du Bloc, lancée en début de campagne, a aussi irrité plusieurs candidats. «C'était niaiseux et malavisé», tranche un candidat de la région de Montréal.

En fait, cette pub connue sous le titre La facture du Bloc a indisposé même les libéraux. «J'ai dit à Michael Fortier: vous venez de réveiller un mort avec votre pub contre le Bloc, ça va se retourner contre vous», raconte le libéral Denis Coderre.

Pourtant, la campagne nationale a été prévenue dès avant le tout début de la campagne de la force du Bloc dans les régions, indique un organisateur-terrain.

Autre pépin, selon de nombreuses sources: la guerre de pouvoir, à l'intérieur du parti, entre sympathisants adéquistes et partisans libéraux.

«Le problème, c'est que ce sont trois adéquistes, Michel Lalonde (ancien proche conseiller de Mario Dumont et candidat de l'ADQ), Jean-Luc Benoît (ancien attaché de presse de M. Dumont) et Dimitri Soudas (attaché de presse de M. Harper et militant adéquiste) qui mènent la campagne d'Ottawa et qu'ils se servent du PC au Québec pour faire du capital politique à l'ADQ», accuse un autre organisateur furieux.

Les «kids de l'ADQ», comme les appellent certains conservateurs québécois, ne se sont pas fait beaucoup d'amis durant cette campagne.

Tout cela promet des jours difficiles au Parti conservateur au Québec, craint-on déjà.

Pertes de circonscriptions, désertion de militants qui commençaient à peine à revenir, organisation décimée dans plusieurs régions. Pire encore, échec de la politique d'ouverture prônée par Stephen Harper.

Contrairement au Parti libéral, le Parti conservateur n'a plus de racines au Québec, et la relève est pratiquement inexistante. Chez les libéraux, malgré le marasme au Québec, au moins trois candidats souhaitent remplacer le président du PLC-Québec. Le PLC compte aussi sur une aile jeunesse active et de grands noms en réserve, comme Martin Cauchon, par exemple.

«Ces élections, c'était notre occasion de passer à une autre étape au Québec, de grandir, mais nous avons raté notre coup», constate, dépité, un candidat conservateur.