Pour la première fois depuis cinq ans, les libéraux fédéraux sont plus populaires que le Bloc québécois. Selon le sondage CROP-La Presse publié mercredi, le PLC obtient 37% des intentions de vote, contre 31% pour le BQ. Le revirement est spectaculaire et l'avance libérale est significative. Mais est-elle durable?

On pourrait, au premier abord, voir ce succès comme la résultante de facteurs conjoncturels. Un effet récession, qui favorise les partis de l'opposition au détriment du gouvernement. Et un effet Ignatieff, le sursaut temporaire de popularité dont jouit tout nouveau chef.

 

Cette remontée des libéraux, à mon avis, repose sur un élément plus solide et plus durable, que l'on pourrait décrire comme un retour à la normale. L'arrivée du nouveau chef marque l'aboutissement d'un processus qui permet en fait au Parti libéral du Canada de retrouver la place qui lui revient sur l'échiquier politique québécois.

Pour mieux comprendre ce qui se passe maintenant, il faut faire un bref retour en arrière. Quand Paul Martin a remplacé Jean Chrétien, les libéraux dominaient au Québec, avec 50% ou plus des intentions de vote. Les bloquistes allaient si mal, avec 33% des voix, qu'on parlait de leur disparition prochaine. Mais le scandale des commandites, fin 2003 et début 2004, a cassé les reins des libéraux. Leur appui a chuté de 17 points, à 34%, le Bloc revigoré est remonté à 49%. Un choc dont le PLC ne s'est jamais remis.

L'autre choc, ce fut la remontée des conservateurs, qui ont eux aussi profité du scandale des commandites, qui ont réussi à s'affirmer comme parti de pouvoir, et surtout, qui ont fait des gains grâce aux ouvertures de Stephen Harper envers le Québec. Entre 2004 et 2006, les conservateurs ont triplé leur score au Québec, en passant de 9% à 25%, des voix surtout prises au PLC.

L'arrivée de Stéphane Dion n'a rien changé. Ce politicien, très impopulaire au Québec, l'est resté. L'effet Dion a été minimal et bref. L'appui aux libéraux est passé à 29%, pour retomber à 20% deux mois plus tard. Voyons ce court passage comme un intermède peut-être nécessaire.

Ce à quoi on assiste maintenant, c'est d'abord que le chapitre du scandale des commandites est bel et bien clos. Le temps a fait son oeuvre et le leadership du PLC s'est à ce point renouvelé que ces événements ne peuvent plus lui être associés.

L'autre phénomène, c'est l'effondrement au Québec du Parti conservateur. Une chute qui s'explique peut-être par la conjoncture, mais tient bien davantage à des considérations idéologiques: l'hyperconservatisme du gouvernement Harper, dans les arts, l'environnement, l'économie, et bien sûr, la fin du flirt avec le Québec. La récession y est sans doute pour quelque chose, mais cela aurait pu tout autant profiter aux bloquistes.

C'est dans ce contexte favorable que Michael Ignatieff a pris la direction du PLC. Mais il apporte trois choses qui permettent de renforcer ces acquis. D'abord, son autorité morale. Ensuite, son ouverture au Québec; c'est lui qui a amorcé la reconnaissance du Québec comme nation. Enfin, une capacité d'incarner ce que le Parti libéral doit être, un parti de centre, avec des politiques équilibrées, plus proche du «mainstream» québécois, un parti plus interventionniste que celui des idéologues conservateurs, dans une période où l'intervention, en économie et en environnement, paraît souhaitable.

Voilà pourquoi le succès des libéraux ne ressemble pas à un feu de paille. On ne sait pas jusqu'où cela va mener le PLC, mais on voit déjà que l'échiquier politique s'est transformé et que le Québec est revenu, au niveau fédéral, à une forme de bipartisme où libéraux et bloquistes s'affronteront pour être le numéro un.