Habituellement, ce dimanche-ci, à la une de votre journal préféré, il y a une grande photo d'un pilote de Formule 1 avec un pétard de mannequin à ses côtés, et le gros titre dit: «Les F1, reines de Montréal». Il y a aussi un cahier spécial d'au moins 12 pages sur le sujet. Il est impossible d'allumer la télé ou la radio sans entendre Christian Tortora nous raconter les dernières frasques de Tonton Bernie. Il y a plein de belles personnes riches et de belles voitures de riches dans l'ouest de la ville. Un gros party chez Guy Laliberté où tout le monde s'envoie en l'air avec sa petite fusée.

Montréal est jet-set. Montréal a la fièvre. Montréal est le centre du monde.

Aujourd'hui, il n'y a rien de tout ça. À la une de votre journal préféré, il doit y avoir un cycliste avec à ses côtés un bénévole chauve, et le gros titre doit être: «Les vélos congestionnent Montréal». Pas de cahier spécial, si ce n'est la circulaire de Brault&Martineau. Quand on allume la télé, des reprises, et à la radio on parle encore du Canadien. Dans l'ouest de la ville, il y a des belles personnes mais elles ne sont pas nécessairement riches et, si elles sont riches, elles ne sont pas nécessairement belles. Elles ont des belles voitures, mais à crédit. Business as usual, comme on dit dans l'ouest. Pas de party chez Guy Laliberté, il est trop occupé à s'entraîner à manger tout en flottant.

 

Montréal est nid-de-poule. Montréal a des allergies. Montréal est le centre du Québec. Non, ce n'est pas vrai, c'est Drummondville. Montréal est le centre du Grand Montréal. Voilà. C'est ça.

Et savez-vous quel est le pire? C'est que c'est ben correct de même. Quand on nous a annoncé que le cirque de la F1 n'arrêtait pas dans notre ville, on s'est ouvert les veines. On a crié au meurtre, au feu! Montréal allait s'écrouler. Les rues Peel et Crescent n'allaient jamais s'en remettre. Voilà que le cirque n'est pas là, et on survit. Même qu'on avait presque oublié. Les absents ont toujours tort. Pas de F1, il reste le chalet, les centres commerciaux, les spectacles, le cinéma, le jardinage, les musées, le vélo, le camping, l'observation des oiseaux, le barbecue, le Monopoly...

Lundi va arriver et on n'aura pas eu le temps de voir passer le week-end, comme toujours. Rien n'arrête la Terre de tourner et une ville de battre. La nature a horreur du vide. Il y a toujours quelque chose pour le combler.

On se remet de tout. Même de la plus grande peine d'amour avec la plus belle et la plus riche des filles. Alors imaginez, ce n'est pas la disparition d'un week-end de voitures chromées qui va miner la population. Regardez les Montréalais, en ce dimanche nuageux, ils ont la même bouille que d'habitude.

C'est Istanbul, ce matin, qui se croit le centre du monde. Ben quin! Comme nous l'année dernière, ils se disent que c'est chez eux que ça se passe. Ce qu'Istanbul ne réalise pas, c'est que les autres villes se foutent de ce qui se passe à Istanbul. Parce que les autres villes ne se préoccupent que d'elles-mêmes. Comme leurs citoyens. Au fond, tout se passe toujours partout. À part quelques millions de voyageurs, les milliards d'humains s'arrangent où ils sont avec ce qu'ils ont. C'est ben beau, le Grand Prix de Montréal ou d'Istanbul, mais le gars de Flin Flon ou de Pointe-à-Pitre s'en moque. Il n'y est pas.

C'est pour ça qu'une ville doit miser beaucoup plus sur ses installations permanentes que sur ses activités ponctuelles. Elle doit faire en sorte d'être un endroit excitant et agréable pour ceux qui y sont tout le temps. Si elle le devient, les touristes y viendront à leur tour.

Attendez-vous le festival Juste pour se marrer pour aller à Paris? Non, il n'y en a pas. Attendez-vous le Grand Prix de New York pour aller à New York? Non, il n'y en a pas. Vous allez à Paris parce qu'il y a toujours de bons restaurants, de bons spectacles, de beaux magasins, une belle architecture, une belle ville. Idem pour la Grosse Pomme.

Les commerces de Montréal, au lieu de se plaindre parce qu'ils perdent de l'argent durant un week-end, qu'ils se forcent donc pour être de meilleurs restaurants, de meilleurs magasins, de meilleures salles de spectacle, peut-être que les touristes afflueraient à Montréal durant toute l'année, pas juste le premier week-end de juin. Faisons de Montréal une ville excitante et agréable tout le temps. Une belle ville tout le temps.

Montréal a besoin d'attraits permanents. La nouvelle salle de concert en est un. Nagano aura beau s'en aller, l'OSM restera et sa salle aussi. Si Montréal est la capitale des festivals, faisons en sorte qu'il y en ait tout le temps, qu'ils se succèdent dans un carnaval sans fin. Dotons Montréal d'événements qui ne dépendent pas de la mégalomanie d'un tonton mais de créateurs d'ici. Le rendez-vous manqué avec le Cirque du Soleil est une erreur à réparer. Que Gérald Tremblay (ou Louise Harel) monte dans sa soucoupe et essaie de convaincre le nouveau Gagarine des échasses de doter Montréal d'un lieu unique et festif.

Les clubs privés de la F1 et du baseball ont jeté dehors notre ville. C'est dommage, mais c'est souvent à n'y rien comprendre. Imaginez, Los Angeles, la ville la plus étendue des États-Unis, n'a plus d'équipe dans la NFL. Et depuis déjà un bail. Mais les gens continuent d'aller à L.A. Parce que L.A., c'est le cinéma. Paris, c'est l'amour. New York, l'argent. Et Montréal, qu'est-ce que c'est?

Faudrait le demander aux touristes qui sont venus ce week-end même s'il n'y avait pas de Grand Prix. Rien de mieux que l'opinion d'un étranger pour apprendre à se connaître. Bon dimanche pas de Grand Prix!

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