Au Québec, ailleurs dans le monde, ou encore au Canada - à l'exception de Stephen Harper -, on s'entend sur l'importance d'une action gouvernementale pour contrer les effets de la crise mondiale. Depuis deux semaines, c'est devenu le principal enjeu de la campagne électorale fédérale. Le même débat a lieu au Québec entre le gouvernement Charest et ses deux partis de l'opposition.

Ces débats ont quelque chose d'un peu éthéré, parce qu'il y a une limite à ce que les gouvernements peuvent faire, parce qu'il est difficile aussi d'établir un plan précis face à une réalité radicalement nouvelle et quand on ne sait pas vraiment ce qui va arriver.

 

Mais il y a une autre raison: c'est qu'un des outils majeurs dont disposent les gouvernements en période de ralentissement ou de récession est le recours aux déficits pour relancer l'économie. Cependant, au Canada, tout comme au Québec, c'est un chemin qu'aucun politicien ne voudra emprunter et un mot tabou que personne n'osera prononcer.

Et pourtant, c'est l'a b c de la science économique, pour qui la création d'un déficit est un outil conjoncturel valide. Cela s'inscrit dans la théorie keynésienne, développée à la lumière de la grande crise. Elle dit, en gros, que les États peuvent jouer un rôle régulateur sur les cycles économiques en engrangeant des surplus budgétaires en période de forte croissance, pour contrer la surchauffe, mais aussi, à l'inverse, en créant des déficits pour relancer l'économie quand celle-ci ralentit.

Bien des pays, et particulièrement le Canada, se sont inspirés des théories de Keynes, mais seulement à moitié. On s'est mis à créer des déficits, dans les années 70, pour soutenir l'économie, mais sans le nécessaire retour du balancier. On a oublié l'autre volet de la théorie, l'importance de revenir à une situation d'équilibre budgétaire ou de surplus. Cela a créé une spirale qui a plongé le Canada et le Québec dans une situation d'endettement dont nous payons toujours le prix.

C'est parce que les déficits nous ont fait frôler la catastrophe que leur élimination est devenue une croisade, et que le maintien des surplus est devenu un dogme. On comprend bien pourquoi. On a trop peur que les politiciens, comme des junkies, ne nous entraînent encore une fois dans une spirale s'ils cèdent à la tentation du déficit.

Mais on en vient à oublier que le recours au déficit est une bonne politique conjoncturelle, et que la situation actuelle, tout à fait unique, est le genre de situation qui peut justifier cet outil d'exception. D'ailleurs, la loi québécoise sur le déficit zéro prévoit justement des mécanismes pour permettre des déficits conjoncturels et pour assurer leur résorption.

À ce chapitre, le Canada, et plusieurs provinces, sont dans une situation privilégiée, parce que les budgets sont équilibrés et qu'un déficit ne provoquerait pas une situation financière intenable, comme aux États-Unis. C'est ce que notait hier dans ces pages l'ancien recteur de l'Université de Montréal, l'économiste Robert Lacroix, et qui fut aussi mon professeur, pour qui cette marge de manoeuvre «doit être utilisée intelligemment, sans craindre, si nécessaire, un déficit budgétaire conjoncturel».

Pas tout de suite. Pas obligatoirement. Mais c'est une option qu'il faut garder en réserve. Pour l'instant, le Canada et le Québec ne sont pas dans une posture trop mauvaise. Non seulement nous échappons à la crise financière, mais les révisions à la baisse des prévisions économiques pour le Canada sont assez modestes. Le Fonds monétaire international, par exemple, réduit de 1% à 0,7% sa prévision pour la croissance canadienne en 2008 et de 1,9% à 1,2% pour 2009. Ce n'est pas le pactole, mais pas la débâcle. Si ces prévisions sont justes, cela placerait le Canada en meilleure posture que tous ses partenaires.

Il faut aussi noter que les gouvernements ont déjà injecté des sommes importantes dans l'économie. Le gouvernement Harper a baissé les impôts. Au Québec, les baisses d'impôt tant décriées du gouvernement Charest arrivent à point, tout comme les massifs investissements en infrastructures et en hydroélectricité. Le timing est providentiel.

Il est donc raisonnable, comme le promet le chef libéral Stéphane Dion et comme le fait le gouvernement Charest avec ses trois équipes de vigilance, qu'un gouvernement soit sur le qui-vive. Mais il doit aussi être prêt à passer très rapidement à l'action si nécessaire, pour soutenir l'activité économique en stimulant la consommation et en favorisant l'investissement, aussi pour aider les victimes de cette période difficile.

Mais pour passer à l'action, il faut être capable de le faire. L'option de pouvoir créer un déficit, c'est un as dans la manche. À condition qu'on ose briser le tabou.