Il y a bien des façons de faire le bilan d'un débat des chefs. La plus classique consiste à se demander, comme dans un match sportif, qui a été le gagnant, quel belligérant a réussi à marquer des points. On peut regarder les choses autrement, non pas du point de vue des chefs et de leur formation politique, mais de celui du citoyen.

Depuis le déclenchement des élections, on dit que cette campagne intéresse peu les électeurs. Dans ce climat d'indifférence relative, le débat d'hier soir jouait un rôle crucial. Non seulement était-il un moment fort de la campagne mais, pour plusieurs, c'est son véritable coup d'envoi. Pour bien des gens, la campagne commençait hier soir.Pauvres d'eux! Ils ont certes eu droit à un fidèle résumé de trois semaines d'une campagne qui ne vole pas haut. Un concentré de toutes les «lignes» des chefs, tous leurs punchs, toutes leurs accusations, dans un climat cacophonique qui rappelait douloureusement les insupportables échanges de l'Assemblée nationale.

En sont-ils sortis éclairés? En savent-ils un peu plus sur les projets des trois partis? Ont-ils eu droit à quelque chose qui ressemble un peu à un débat d'idées? Sont-ils plus éclairés sur les grands enjeux? En d'autres termes, la démocratie en sort-elle gagnante? Hélas non.

Le premier bloc d'échanges, qui portait essentiellement sur la santé, a été, à cet égard, désespérant. On sait que c'est là la priorité numéro un des Québécois, inquiets du fait que la situation ne semble pas s'améliorer malgré les sommes colossales qu'on y injecte. Le chef libéral Jean Charest a dénoncé ad nauseam la décision malheureuse du gouvernement Bouchard, dont faisait partie Pauline Marois, de mettre médecins et infirmières à la retraite. La chef péquiste a dénoncé le fait que le gouvernement libéral n'a pas tenu ses ambitieuses promesses en santé. Une indigeste bataille de chiffres dans le genre «vos listes d'attente sont plus longues que nos listes». Pareil en éducation.

Le second bloc d'échanges, dans le dossier encore plus pressant du ralentissement économique et de la tempête qui nous menace a été de la même eau. Encore des chicanes de chiffres et du «bitchage». Mme Marois qui rend les libéraux responsables de la crise de la forêt. Jean Charest qui dénonce le déficit légué par Mme Marois.

Avec une digression prévisible sur les chiffres de la Caisse de dépôt et ses évidentes pertes boursières. Faut-il rendre les données publiques? Il y a matière à débat. Mais il était évident que ce débat a essentiellement pour but d'associer Jean Charest aux effets de la crise, comme le montrait la démagogie de Mario Dumont qui parlait des «pensions menacées», ou celle de Mme Marois qui l'accuse de déclencher des élections pour cacher les déboires de la Caisse. Des débats partisans qui ne donnent pas l'heure juste sur l'économie, qui ne créeront pas une job, gênants dans un contexte de crise mondiale.

On pouvait difficilement s'attendre à ce que le premier ministre Charest sorte vainqueur d'un échange à trois où, en tant que premier ministre dans une période difficile, il était la cible des tirs croisés de ses deux adversaires.

Quant à Mme Marois, est-ce que son ton agressif, sa tendance à interrompre seront à son avantage. On verra comment ses partisans apprécieront sa prestation. Car l'enjeu pour elle était moins de voler des votes à ses adversaires que de mobiliser ses propres partisans, moins intéressés que les autres à la campagne, décus de leur parti et en deuil de leur option.

S'il y a eu une heureuse surprise, c'est la prestation de Mario Dumont. Celui-ci, qui a été un véritable «loose canon» dans cette campagne, a choisi la voie de la sobriété. Troisième dans une lutte à trois, il a mis ses adversaires dos à dos, et il a réussi à exposer ses idées et à montrer en quoi il était différent des deux vieux partis, contribuant ainsi à élever au débat.

Est-ce ça fait des gagnants? Difficile à dire dans un débat bruyant, sans moment fort, sans knockout, où personne ne réussissait vraiment à se distinguer. Mais il y a certainement eu des perdants: les électeurs. Et une victime, la démocratie. Parce que bien des gens, après un débat pareil, auront peut-être le goût de rester chez eux le 8 décembre.