On connaît le dicton: «Quand les États-Unis éternuent, le Canada attrape la grippe.» Très souvent, les perles de la sagesse populaire, tout comme les recettes de bonne femme, ne se vérifient pas dans les faits. C'est très clairement le cas maintenant. Si les Américains ont été frappés par une pneumonie, le Canada a attrapé une grosse grippe.

Les données sur le marché du travail qui ont été rendues publiques vendredi des deux côtés de la frontière montrent à quel point la situation est différente dans les deux pays. L'état de l'économie canadienne est très sérieux, mais ça n'a rien à voir avec la véritable catastrophe qui frappe les États-Unis.

 

Les chiffres américains sont terrifiants. L'emploi a encore baissé en décembre, pour une perte de 524 000 personnes, ce qui porte les pertes d'emploi depuis décembre 2007 à 2 956 000. Le nombre de chômeurs a encore augmenté de 632 000, pour atteindre 11,1 millions, une augmentation de 3,5 millions en 12 mois. Le taux de chômage est passé 4,9 à 7,2%.

La situation canadienne n'a pas la même gravité. L'emploi a baissé de 34 400 en décembre. Mais en 12 mois, le niveau d'emploi a quand même progressé de 98 300. Le nombre de chômeurs a augmenté de 47 100 en décembre, soit 131 500 de plus qu'il y a un an. Le taux de chômage est passé de 6 à 6,6% pendant ces 12 mois.

Ce qui arrive au Canada est sérieux. Les deux mois consécutifs de perte d'emplois, 75 000 en novembre et 34 100 en décembre, montrent qu'il y a eu une cassure et que ça commence à aller mal. Ce revirement nécessite quelques remarques.

La première, c'est que le Canada, après avoir résisté à la récession qui frappe les États-Unis, a finalement été touché. Le Canada n'était pas immunisé contre les maux américains, quoique ses problèmes s'expliquent aussi par l'effondrement du prix des ressources. On a bien vu, pendant le temps des Fêtes, que le Canada ne vivait pas encore à l'heure de la récession. Mais ça y est, et le recul qui avait été prévu pour la fin de 2008 frappera plutôt en 2009.

La deuxième remarque, c'est que l'espoir d'une récession dite technique, avec une stagnation économique plutôt qu'un recul, auquel croyaient la grande majorité des prévisionnistes et les gouvernements, et auquel je croyais aussi, s'est évanoui. La situation a empiré, et nous entrons dans une vraie récession.

La troisième remarque, c'est que les économistes ne croient pas qu'elle aura l'intensité de la récession américaine. Loin de là. Ce qu'on prévoit, c'est un recul pour les six premiers mois de cette année, une reprise très modeste dans la seconde moitié de l'année et une croissance encore faible en 2010. Une récession sérieuse, mais moins grave que celles de 1981 et 1991, et à plus forte raison que celle des années 30. Bien sûr, les économistes peuvent encore se tromper. Mais les données dont on dispose montrent bien que l'économie canadienne, y compris la québécoise, résiste relativement bien.

On le voit à l'évolution prévue du taux de chômage. Le marché du travail reste le meilleur étalon de la situation économique, et le chômage doit être notre principale préoccupation. Selon les organismes de prévision, le chômage canadien, qui était de 6,1% en moyenne en 2008, devrait grimper dans une fourchette de 7,3% à 7,7% et se maintenir à ce taux l'année suivante. Chaque emploi perdu est un drame. Mais cette hausse du chômage n'a rien à voir avec ce que vivent les Américains, qui avaient un taux de chômage de moins de 5% il y a un an et qui craignent qu'il passe à 10%.

On le voit aussi avec la situation québécoise, alors que le taux de chômage, qui était de 7,3% en 2008, pourrait monter jusqu'à 8,5%. C'est un coup dur, mais ce n'est pas ce qu'on appelle une crise. C'est le genre de taux de chômage que nous avions jusqu'en 2006. À titre de comparaison, pendant la récession de 1991, le taux de chômage était passé de 9,5% à 13,2%, et les pertes d'emplois avaient été si fortes qu'il avait fallu six ans pour les récupérer.

Il ne faut pas banaliser ce qui nous arrive. Mais il faut essayer de se donner l'heure juste. La situation est sérieuse, mais elle est gérable, assez gérable pour qu'on puisse se mobiliser pour combattre la récession plutôt que de céder à la panique et au désespoir.