Deux mois, ce peut être très long dans la vie d'un ministre des Finances. Le mardi 27 janvier, Jim Flaherty déposera son budget, deux mois jour pour jour après son énoncé économique de triste mémoire. Il s'en sera passé des choses pendant ces 62 jours. Il est utile de se remémorer ces événements pour pouvoir juger le budget de mardi.

L'énoncé de M. Flaherty du 27 novembre était une honte politique, on le sait. Mais c'est aussi un document qui passera à la petite histoire comme un monument de bêtise économique.

 

Cet énoncé reposait sur l'hypothèse que le Canada connaîtrait une très légère récession, une «récession technique». On ne peut pas en faire reproche au ministre, parce que sa prévision reposait sur celles du secteur privé. C'était le consensus chez les spécialistes, à cette époque pourtant pas lointaine.

Ce qui était inacceptable, au plan économique, c'était trois choses. Premièrement, une fiction partisane: le ministre affirmait que les baisses d'impôt des années précédentes, comme la TPS, pouvaient jouer un rôle de stimulation, un non-sens économique. Deuxièmement, une inaction inacceptable: M. Flaherty ne proposait strictement rien pour stimuler l'économie. Pourtant, une récession, même légère, aurait exigé une intervention vigoureuse. Troisièmement, pour empêcher un déficit, le ministre proposait une stratégie de réduction des dépenses de 15 milliards de dollars. Exactement le contraire de ce qu'il faut faire quand l'économie ralentit. Assez pour en conclure que, dans cet énoncé, Jim Flaherty était un idéologue sans jugement économique.

À cela s'ajoutaient des éléments politiques. Les fameuses compressions étaient un prétexte à une opération de règlement de comptes contre ce qui pouvait irriter les conservateurs: élimination des subventions aux partis politiques, suspension du droit de grève du secteur public, attaque contre l'équité salariale. L'énoncé était à ce point mesquin que libéraux et néo-démocrates, avec l'appui du Bloc, ont formé une coalition pour renverser les conservateurs et former le gouvernement. Une crise politique majeure qui a fortement ébranlé le premier ministre Harper.

On a finalement évité la crise parce que M. Harper a obtenu de la gouverneure générale le droit de proroger la session pour éviter de subir un vote de non-confiance. Je trouvais alors que c'était la moins mauvaise solution, pour calmer les esprits et pour éviter la formation de ce gouvernement de coalition, dirigé par nul autre que Stéphane Dion, qui aurait été peu légitime et très instable. Je croyais que les conservateurs, «devant la fermeté imprévue de l'opposition, n'auront pas d'autres choix, s'ils survivent jusqu'en janvier, que de proposer un budget qui devra être acceptable».

C'est ce que semble suggérer la suite des choses. La coalition n'est plus vraiment dans le décor, les libéraux se sont renforcés avec l'arrivée de Michael Ignatieff. Et les conservateurs, ébranlés, ont été forcés de consulter et de rectifier le tir, aidés en cela par des prévisions pas mal moins roses. On sait déjà que le déficit atteindra 64 milliards pour les deux prochaines années et que le budget proposera un substantiel plan de relance.

Ce budget ne sera donc pas vraiment un budget conservateur. Ce sera aussi, à certains égards, un budget libéral. Pour cette raison, il ne sera probablement pas inacceptable pour l'opposition.

Il y a toujours un risque, celui que M. Flaherty fasse exprès pour y inclure des mesures inacceptables, pour mettre les libéraux dans l'embarras, par exemple des baisses d'impôt trop substantielles, qui n'ont aucune logique économique dans les circonstances, mais qui correspondent au credo idéologique conservateur. Mais le gouvernement Harper risquera gros si, dans cette période difficile, il sacrifie le bien public aux intérêts partisans.