Jacques Ménard, le patron de la Banque de Montréal au Québec, a publié il y a 10 jours un rapport qui propose des solutions concrètes, abordables et convaincantes pour réduire le catastrophique taux de décrochage scolaire qui sévit au Québec. On ne peut qu'applaudir.

Le décrochage est un véritable fléau, aux coûts sociaux et économiques considérables. Le Groupe d'action sur la persévérance et la réussite scolaires, présidé par M. Ménard, braque les projecteurs sur cet enjeu. Cette intervention a certainement interpellé le premier ministre Charest, qui a déposé vendredi une stratégie d'action-jeunesse où le décrochage est au centre des préoccupations.

 

Ce rapport, intitulé Savoir pour pouvoir, n'a pas été commandé par le gouvernement. C'est une initiative «citoyenne» d'un groupe qui réunissait des gens du monde des affaires, mais aussi du secteur communautaire, du développement régional, du secteur public. Une rencontre inhabituelle qui s'explique par le fait que dans ce dossier, il y a convergence entre les exigences du développement économique et les impératifs de la justice sociale.

Cette initiative soulève une foule de questions. Comment se fait-il que ce soit un groupe d'action qui propose des solutions, plutôt que le gouvernement, avec ses milliers de fonctionnaires, ou le réseau des commissions scolaires, avec tous ses spécialistes?

Comment se fait-il que ce groupe estime être capable de réduire sensiblement le taux de décrochage, de 31% à 20%, en 10 ans, avec des sommes relativement modestes - quelques dizaines de millions les premières années, entre 140 et 240 millions ensuite - quand Québec, avec plus de 800 millions par année, n'a pas réussi à réduire le décrochage depuis 20 ans?

Parce que l'approche n'est pas la même. Le groupe propose une approche terre-à-terre. On regarde ce qui a fonctionné, ici ou ailleurs, notamment au Saguenay-Lac-Saint-Jean, on adopte les meilleures pratiques, on se fixe des objectifs et on fait du benchmarking. Les expériences qui fonctionnent reposent largement sur les dynamiques régionales, la mobilisation du milieu, la définition de solutions adaptées à chaque cas. L'État, avec ses grandes politiques globales, avec sa logique de grands systèmes, en est incapable.

Pourtant, l'enjeu est considérable. L'abandon scolaire des jeunes coûte cher en salaires perdus, en productivité moindre, en revenus fiscaux. En fait, il coûte plus cher au gouvernement que les pertes de la Caisse de dépôt. Une société en pénurie de main-d'oeuvre et qui a besoin de travailleurs de plus en plus qualifiés ne peut pas se payer le luxe d'envoyer sur le marché du travail trop de jeunes sans formation adéquate.

C'est aussi un drame social. Les décrocheurs seront moins payés, plus vulnérables, plus souvent chômeurs. Mais surtout, il y a une forte corrélation entre le décrochage et l'origine sociale. Les enfants de milieux défavorisés abandonnent plus l'école, ce qui limite leur capacité de s'extraire du cycle de la pauvreté. Lutter contre le décrochage, c'est donc un moyen puissant pour lutter contre la pauvreté, en donnant aux jeunes de milieux fragilisés les outils dont ils ont besoin pour la réussite scolaire.

Mais derrière le grand échec que représente le décrochage, il y a un problème plus profond. Et c'est le fait que les Québécois n'ont jamais été passionnés par les enjeux de l'éducation. Et que le monde politique, qui regarde les sondages et qui sait que le thème n'est pas porteur, n'a pas essayé de l'imposer comme grande priorité.

Le Québec est au neuvième rang canadien pour son décrochage, quand on sait que le Canada dans son ensemble, au 16e rang mondial, n'a pas une performance reluisante. Si les Québécois étaient convaincus de l'importance de l'éducation, ils n'auraient jamais toléré ce qui est une honte nationale.