Nous sommes au coeur d'une récession mondiale. Tout semble indiquer qu'elle tire à sa fin. Mais elle a fait des ravages, le chômage n'a pas fini d'augmenter, de nombreuses entreprises sont menacées, et la reprise s'annonce lente et laborieuse.

Pourquoi rappeler ces évidences? Parce pendant que la planète se bat contre la crise, il y a des gens qui ne semblent pas être courant, comme des Martiens qui viendraient de débarquer sur Terre et qui n'arrivent pas à décoder les bulletins de nouvelles.

Ces Martiens, ce sont les dirigeants des syndicats du secteur public, qui ont formé un front commun «historique» pour se préparer à des négociations avec le gouvernement québécois. Ils s'apprêtent à réclamer des hausses salariales de 11,25% sur trois ans, c'est beaucoup. Au coeur d'une récession qui frappe l'État de plein fouet, c'est franchement folichon.

Il y a certes un argumentaire derrière ces demandes: 6% pour tenir compte d'une inflation de 2% par année. Et le reste pour le rattrapage. Il est vrai que les employés de l'État ne sont plus des privilégiés. La dernière enquête sur la rémunération des salariés de l'Institut de la statistique du Québec montre que leurs salaires, en 2008, étaient inférieurs de 5,2% à ceux du privé, de 15,6% à ceux du secteur privé syndiqué, auquel il faudrait plutôt les comparer. Quand on tient compte des avantages sociaux et des heures travaillées, le public s'en tire mieux: sa rémunération globale dépasse de 4,2% celle du privé, mais reste derrière celle du privé syndiqué, un écart important de 12,2%. Il y a donc de la place pour du rattrapage. Le problème n'est pas dans le principe, mais dans son application.

Il y a d'abord une question de timing. La récession a précipité le gouvernement du Québec en situation de déficit. Pour le résorber, ce qui sera très difficile, il prévoit déjà des compressions et une hausse de 1% de la TVQ. Sans marge de manoeuvre, il n'y a que trois façons de financer un rattrapage salarial: taxer encore plus, couper ailleurs, ou endetter le Québec.

II faut en outre s'entendre sur l'ampleur du rattrapage. Les comparaisons public-privé ne tiennent pas compte d'un élément qui devient central dans un contexte comme celui-ci. Les deux tiers des employés de l'État, permanents, ont la sécurité d'emploi. La certitude de garder son job. Bien des gens sacrifieraient volontiers une partie de leur salaire pour cette sécurité. Combien ça vaut ? Je ne sais pas. Mais on ne pourra pas avoir un débat sérieux sur la rémunération des employés de l'État si on ne met pas cet élément central dans la balance.

Les demandes syndicales deviendront par ailleurs très gênantes si les dirigeants syndicaux s'en tiennent à leur vieille rhétorique comme ils l'ont fait cette semaine dans leur communiqué commun.

«Les porte-parole du front commun ont prévenu le gouvernement que les services publics et les conditions de travail des personnes qui les dispensent ne doivent pas faire les frais de la crise.» Au nom de quel principe les employés de l'État doivent-ils être dans une bulle, complètement à l'abri d'un événement qui touche tout le monde?

«Au contraire, poursuit le communiqué, la crise révèle à quel point nos services publics constituent le meilleur rempart contre l'appauvrissement de la population.» Il est vrai que l'État constitue un rempart. Cependant, ce rempart, ce sont les transferts, les programmes de soutien. Je cherche encore à voir comment des hausses de salaire plus fortes pour les employés de l'État pourraient réduire l'appauvrissement. À moins que ça se passe comme ça sur la planète Mars...