Je me souviens d'avoir réagi avec une certaine condescendance quand Terre-Neuve a été ébranlée par le scandale des tests de cancer du sein erronés, un drame qui nous rappelait que la province voisine était en quelque sorte le tiers-monde canadien. Eh bien! le tiers-monde, c'est aussi au Québec.

Une étude de l'Association des pathologistes affirme que de 15% à 20% des tests de marqueurs hormonaux - qui servent à déterminer le type de traitement pour le cancer du sein - effectués par les laboratoires de la province, seraient erronés. C'est une source d'angoisse terrible pour toutes les femmes qui ont été frappées par cette maladie.

 

Ce scandale, car c'en est un, nous envoie un signal inquiétant sur l'état de délabrement de notre système de santé. Ce n'est pas un accident, mais le symptôme d'un mal plus profond qui révèle au moins cinq problèmes persistants qui rendent ce système ingérable.

Premièrement, à quoi sert donc le ministère de la Santé? Il y a eu un drame à Terre-Neuve, qui a fait l'objet d'une commission d'enquête. C'est la province d'à côté. Comment se fait-il que personne n'ait allumé, que personne n'ait voulu vérifier l'état de nos laboratoires? Il y a des milliers de fonctionnaires au ministère de la Santé. On a un Institut de santé publique. Et il a fallu que ce grave problème soit révélé grâce à une initiative de l'Association des pathologistes. Voilà une grave anomalie.

Deuxièmement, cela met en relief le retard du Québec dans ce qui devrait être une priorité, une approche intégrée dans le dépistage et le traitement du cancer. Une maladie qui doit être une priorité en raison de ses ravages et de l'angoisse qu'elle peut provoquer. Si un problème aussi criant a pu passer inaperçu, c'est manifestement que le monde de la santé est encore paralysé par sa structure en silo, où chaque composante du système de santé fonctionne en vase clos.

Troisièmement, la déresponsabilisation. On a consacré beaucoup d'encre et de salive au Québec sur la place du privé en santé, un débat stérile, qui fait oublier les véritables enjeux. L'important, ce n'est pas de savoir qui fait quoi, le privé ou le public, mais bien qui décide. C'est l'État qui doit être le garant du système, qui doit définir les standards et les faire respecter. L'absence de standards pour les laboratoires de pathologie et l'absence de contrôles de qualité est tout à fait indéfendable. Dans ce cas précis, l'État n'a pas joué son rôle.

Quatrièmement, la stratégie du pompier. Cette inaction s'explique en partie par le fait que dans ce système au bord de la crise, on pare au plus pressé. Les interventions portent en général sur les enjeux les plus visibles: attentes en chirurgie, urgences. Au détriment des activités de l'ombre, comme la pathologie.

Cinquièmement, la gestion médiatique. Dans un système où tout le monde se bat pour des ressources rares, la meilleure façon d'obtenir des fonds, c'est de passer par les médias, pour faire bouger le ministre. Les pathologistes ont joué ce jeu, en lâchant une étude très partielle dans le public, au lieu de travailler avec le Ministère. Ils ont provoqué une panique. Le président de la Fédération des médecins spécialistes, Gaétan Barrette, en a remis. C'est très irresponsable, mais hélas, ça fonctionne. Et ça ajoute au chaos.

Il y a une conclusion à tirer de cette histoire, et elle n'est pas rassurante. Les problèmes de la santé au Québec ne s'expliquent pas seulement par une pénurie de personnel ou un manque d'argent. Ils tiennent au fait que ce système est toujours ingérable.

adubuc@lapresse.ca