Un sondage du Globe and Mail d'hier montre que la lente glissade des libéraux fédéraux s'est transformée en dégringolade. Après avoir devancé les conservateurs de cinq points en mai dernier, ils ont perdu cette avance au cours de l'été pour se retrouver, à la veille de la rentrée des classes, cinq points derrière leurs adversaires. Cet écart s'est maintenant creusé à 13 points.

Il s'est donc passé bien des choses en un mois. Début septembre, des élections générales à l'automne semblaient inévitables. Et Michael Ignatieff pouvait raisonnablement croire qu'en travaillant fort, il pouvait les remporter. Quatre semaines plus tard, Stephen Harper, avec 41% des intentions de vote contre 28% pour les libéraux, peut non seulement compter sur une victoire, mais raisonnablement croire qu'elle serait majoritaire.

 

Cela en dit long sur la volatilité extrême de l'électorat, sur la difficulté de faire des prévisions, et sur les dangers de croire que le temps présent peut nous dire ce que l'avenir nous réserve. Tout peut donc encore changer. Mais la descente aux enfers de M. Ignatieff est trop brutale et trop marquée pour être portée au compte des phénomènes passagers.

Il y a, dans la chute rapide de popularité des libéraux, un élément conjoncturel: la réaction très négative des électeurs aux tentatives de M. Ignatieff de renverser le gouvernement. Non seulement les Canadiens ne voulaient pas d'élections si rapprochées, ils en sont même au stade où ils souhaitent un gouvernement majoritaire. Rétrospectivement, la stratégie libérale a été désastreuse. Mais c'est le genre de choses que l'on finira par oublier.

Cet incident a par contre révélé deux tendances lourdes, bien plus menaçantes pour les libéraux. D'abord, le profond désir de stabilité des citoyens. Par définition, cela profite au gouvernement en place. Ensuite, le fait qu'il n'est pas vrai, comme l'ont sans doute cru les stratèges libéraux, que la récession affaiblirait le gouvernement. Ici comme ailleurs, c'est le contraire qui semble se produire. On le voit par exemple à la récente victoire d'Angela Merkel en Allemagne.

D'autant plus que le gouvernement Harper s'est bien acquitté de sa tâche. Le Canada s'en est sorti mieux que les autres, sa reprise sera plus vigoureuse, et les organismes internationaux félicitent le gouvernement canadien pour ses politiques de relance. Les déboires des libéraux ne s'expliquent pas seulement par leurs faiblesses, mais aussi par la performance des conservateurs.

Il est vrai que la stratégie de relance des conservateurs a été imposée par les libéraux, et que le gouvernement Harper a dû déposer un budget de type libéral pour éviter d'être renversé. Mais le résultat est là. Et dans un contexte où le principal enjeu politique reste la relance économique, rien ne distingue foncièrement les libéraux des conservateurs.

À ce contexte difficile s'ajoute un problème propre aux libéraux. Le fait que le penseur respecté qu'est Michael Ignatieff ne s'est pas transformé en politicien et en leader. On a vu les carences du politicien dans l'incident Cauchon-Coderre. Elles s'expliquent bien moins par le fait que le chef est entouré de Torontois que parce que celui-ci n'a pas eu l'instinct politique pour déceler un problème, ni la détermination pour le régler avant qu'il ne se transforme en crise.

Mais surtout, M. Ignatieff n'a pas réussi à bien expliquer ce que serait un gouvernement libéral, et en quoi il se distinguerait. C'est peut-être le calcul politique d'un parti qui veut attendre avant de dévoiler son jeu. Bien sûr, il y a les valeurs libérales et les évidentes différences culturelles et idéologiques entre libéraux et conservateurs. Mais ce n'est manifestement pas assez pour convaincre l'électorat.