Et ce qui devait arriver arriva. Après avoir snobé la Chine assez bêtement pendant des années, Stephen Harper s'est fait rabrouer publiquement hier par les dirigeants chinois qui ont reproché la longue absence d'un premier ministre canadien en sol chinois.

Ce n'est pas un simple incident. Les remarques du président Hu Jintao et du premier ministre Wen Jiabao illustrent bien la mauvaise qualité des rapports entre les deux pays et nous rappellent que les choix de notre premier ministre ont affecté les dizaines d'années d'efforts de ses prédécesseurs.

 

Ce n'est pas non plus un accident. Contre vents et marées, M. Harper a choisi la ligne dure envers la Chine et multiplié les gestes irritants, son peu d'empressement à entreprendre une visite officielle en Chine, accusations ridicules d'espionnage économique, absence aux Jeux olympiques de Pékin, honneurs au dalaï-lama. Des gestes de méfiance et d'hostilité qui reflètent dans toute sa splendeur la culture réformiste dont M. Harper est issu.

Et maintenant, après avoir refusé d'écouter les conseils qui lui étaient prodigués, notre premier ministre est maintenant forcé par les réalités économiques de changer de cap. Dans cette visite tardive, il doit payer les pots qu'il a lui-même cassés.

La politique chinoise de M. Harper reposait sur la volonté de défendre sans compromis les droits de l'homme, en dénonçant les gestes répréhensibles de la Chine, et sur le désir, en principe admirable, de ne pas sacrifier ces grands principes aux réalités économiques.

On peut être admiratif. Ou au contraire y voir une approche naïve, et une idéologie primaire. Cette défense des droits de l'homme sans compromis suscite la méfiance, parce qu'elle est à géométrie variable: des dictatures comme l'Arabie Saoudite n'ont pas eu droit aux mêmes foudres. Voilà pourquoi il est difficile de ne pas y voir un fond d'anticommunisme typiquement réformiste. Et une attitude rigoriste qui rappelait plus le preacher fondamentaliste que le chef d'État. Parce que dans ce dossier, M. Harper a oublié les réalités géopolitiques, les dynamiques politiques et les exigences de la «realpolitik».

Sur le plan géopolitique, l'abandon par la Chine du dogme marxiste, sa modernisation accélérée, son accession au statut de grande puissance économique, constituent l'un des grands événements de l'histoire récente, qui bousculera les rapports de forces économiques et les équilibres mondiaux. Le devoir d'un pays comme le Canada, ce n'est pas de couper les ponts, mais de maintenir les liens, pour comprendre ce pays, pour l'accompagner dans sa nécessaire intégration au reste du monde.

Au plan politique, la Chine est totalitaire, les entorses aux droits y sont nombreuses. Mais il faut prendre acte de la difficulté du passage à la démocratie d'un régime de ce genre. Le désastre de la démocratisation russe devrait nous montrer que le gradualisme a des vertus et que le choix chinois de libéraliser d'abord l'économie était le bon. Les progrès des droits sont trop lents. Mais faut-il se braquer, ou plutôt travailler à ce que l'ouverture sur le monde et les progrès économiques de ce pays accélèrent le processus de démocratisation.

Enfin, faut-il rappeler l'absence de sagesse qu'il y a à ne pas travailler à la qualité des liens avec un pays qui sera la première puissance du monde, et qui, déjà, est nécessaire à la prospérité canadienne? Il faut donc trouver un juste équilibre entre la défense de nos principes et la défense de nos intérêts.

Le premier ministre Harper n'a pas eu la vision de ses prédécesseurs. Le Canada en souffre, pour son économie, pour son image, et pour sa place dans le monde. Il n'y a pas de quoi être fier.