Il est ressorti très clairement de la conférence de Montréal, qui réunissait lundi les pays amis d'Haïti, qu'une fois l'urgence passée, l'immense projet de reconstruction du pays serait, toutes proportions gardées, la tâche la plus facile.

Le véritable défi, ce n'est pas de reconstruire des maisons, des routes, des égouts. Ce qui fera la différence entre le succès et l'échec, c'est la reconstruction sociale: combattre le fléau de l'analphabétisme, mettre sur pied un appareil d'État capable de diriger le pays, retrouver une cohésion sociale qui dépasse la dignité dans le malheur. Cette reconstruction sociale et politique sera plus importante pour l'avenir d'Haïti que tout le béton que l'on pourra couler.

 

À cette réunion de cette douzaine de pays proches d'Haïti, on a parlé poliment, mais franchement, des problèmes de la perle des Antilles. Le fait qu'avant la catastrophe, c'était déjà le chaos, un pays mal dirigé, rongé par la violence et la corruption, trahi par ses élites, où les éléments les plus dynamiques ont été contraints à la fuite. Un état de crise permanent qui fait que l'aide massive apportée depuis des années n'a pas vraiment réussi à changer les choses.

Dans de telles circonstances, la tentation de la tutelle est certainement forte. Les pays riches qui paient la note peuvent avoir le réflexe de vouloir tasser les Haïtiens, pour laisser les «pros» faire le travail, plus efficaces, plus rapides, mieux équipés pour éviter la corruption et la paralysie institutionnelle. C'est le réflexe à éviter.

Il est heureux que les grands pays aient rappelé avec insistance qu'ils travailleraient avec le gouvernement haïtien et qu'ils respecteraient la souveraineté du pays. Quoique la ligne sera mince entre la collaboration et la tutelle, parce que les pays donateurs seront très présents, et qu'ils exigeront des autorités haïtiennes une reddition de comptes pour suivre les fonds qu'ils injecteront dans le pays.

Mais il est important que l'on maintienne le principe, formulé à la conférence, que «Les Haïtiens sont maîtres de leur avenir». Pourquoi?

D'abord pour des raisons historiques. Ce qui définit Haïti, c'est sa souveraineté, qui a coûté si cher, mais qui donne aux Haïtiens leur identité et leur fierté. Le pays est encore marqué par le souvenir des 20 ans d'occupation américaine au début du XXe siècle. Une dynamique de tutelle - ou une prise en charge trop pesante de la destinée du pays par nations donatrices - déclencherait une dynamique de dépendance, de dépossession, de ressentiment et de déresponsabilisation qui mènerait à l'échec, comme dans le passé.

La participation active des Haïtiens et de leurs dirigeants est importante pour une autre raison: la reconstruction implique de difficiles choix de société qui ne peuvent pas être déterminés ou imposés de l'extérieur. Bâtir un réseau d'éducation, décentraliser le pays, peut-être vider une partie de la population de Port-au-Prince, miser sur l'agriculture, sont toutes des décisions qui touchent les gens et auxquelles ceux-ci doivent participer.

Enfin, les milliards qui seront injectés sur une période de 10 ans n'auront de sens que s'ils servent de levier et permettent à Haïti de mieux voler de ses propres ailes. Ces grands travaux doivent bien sûr créer des emplois, mais aussi favoriser la création d'entreprises locales, le développement de l'entrepreneuriat, la mise sur pied d'un appareil gouvernemental et de services publics de qualité, ce qui implique un transfert de connaissances et de responsabilités.

En somme, il s'agit d'investir dans les citoyens, et pas seulement dans le béton. Voilà pourquoi la reconstruction ne sera pas possible si elle se fait sans Haïti et sans les Haïtiens. Si on l'oublie, on reviendra à la case zéro, et ce sera l'échec.