Le psychanalyste Clotaire Rapaille a créé tout un émoi en décrivant les Québécois comme des sadomasochistes dans leurs relations avec le Canada. La même chose pourrait être dite de leurs rapports à la santé.

La Presse révélait cette semaine que certains médecins spécialistes passent à la pratique purement privée quelques semaines par année pour revenir ensuite dans le secteur public. Le phénomène, quoique marginal, mérite d'être rapporté. Mais il n'y a pas de quoi grimper aux rideaux. On a réagi en masochistes, en s'indignant de quelque chose qui pourrait aider à améliorer les soins de santé.

Cet émoi repose sur une bonne dose d'ignorance. La mixité de la pratique médicale – où les médecins peuvent à la fois oeuvrer dans le système public gratuit et dans le secteur privé payant – est interdite au Canada, et donc perçue comme sulfureuse. Ce qu'on sait moins, c'est que le Canada est le seul pays industrialisé à l'interdire. Ce simple fait devrait nous inciter à la retenue dans ce débat. À moins que nous croyions que nous sommes les seuls à avoir raison. La performance de notre système de santé permet d'en douter.

À cela s'ajoute un peu d'hypocrisie. Comme les activités privées désengorgent le système, on ferme les yeux. Mais on ne peut pas non plus les encadrer puisque, officiellement, elles sont illégales et n'existent pas. Tout se fait donc par en dessous, dans les zones grises, ce qui contribue à rendre la chose agaçante. Dans ce cas-ci, les médecins se désengagent temporairement du système public pour y réadhérer quelques semaines plus tard.

La solution, évidente, c'est de permettre la mixité, comme le font tous les pays civilisés. Mais c'est là qu'intervient l'idéologie. Au Canada, l'encadrement rigide du système de santé a un fondement identitaire. Au Québec, c'est la domination d'un discours de gauche qui veut à tout prix protéger l'espace public, et selon lequel le privé dans le monde sacré de la santé est a priori suspect. Cela mène à un climat de chasse aux sorcières qu'aucun politicien n'ose affronter.

Cela explique pourquoi le débat sur la place du privé prend souvent des allures surréalistes. Un des gros arguments qui a été soulevé pour dénoncer les pratiques privées, c'est que le risque de conflit d'intérêts, parce que les médecins peuvent en retirer un avantage pécuniaire. On traite les médecins comme des fraudeurs potentiels en oubliant qu'ils sont régis par un code d'éthique. Mais surtout, ce risque potentiel existe chez tous les professionnels. Par exemple, le dentiste qui vous conseille un traitement pour lequel vous allez le payer. C'est le genre de problème qu'une société comme la nôtre est parfaitement capable de gérer.

En voilà pourquoi, en bons masos, nous nous privons d'un outil qui pourrait améliorer notre sort. L'expérience des autres pays montre que la mixité permet d'augmenter l'activité des médecins, d'augmenter l'offre, de réduire les attentes. C'est parce que l'engorgement du public ne leur permet pas d'opérer autant qu'ils le peuvent que des chirurgiens québécois passent temporairement au privé. Un autre avantage non négligeable de la mixité, c'est d'introduire de la souplesse, de l'initiative, de la faculté d'adaptation dans un système sclérosé.

Mais ce n'est pas une panacée. La mixité pose des problèmes. Celui de l'équité, en offrant des avantages à ceux qui peuvent payer. Et aussi le risque que les activités privées drainent les ressources du réseau public. La solution ? Permettre, par exemple, la mixité en limitant le nombre d'heures qu'un médecin du public peut exercer au privé. C'est ce qui se fait partout. Et c'est ce que nous pourrions faire ici, si nous étions moins masos.