Les sacrifices faits à l'air du temps rendent l'éternité asthmatique. On ne respire pas, on ne prend pas le temps, on suit, en se donnant l'illusion que si l'on se presse, on précédera la parade. Chaque fois que l'on pense atteindre la modernité, on s'éloigne du reste, pour ne pas dire de l'essentiel. J'ai eu cette impression en bloguant, en twittant, en facebookant et, maintenant, en me prenant pour Ringo Starr à Beatles Rock Band sur ma nouvelle console Playstation.

C'est que, contrairement à ce que l'on pense, le divertissement de nos jours, c'est du sérieux, c'est du travail; cela demande un investissement en temps et en argent de tous les instants. Télé HD, consoles, Blue-Ray, jeux, ordinateurs, WI-FI, iPod, livre électronique; ce qu'il en faut de gadgets (et de budget) pour commencer, seulement, à s'amuser!

En parallèle, je m'étonne de la soudaine popularité du verbe dans sa plus pure expression. Vingt-quatre heures de Moulin à paroles ce dernier week-end, le Festival international de littérature (FIL) qui commence, Fabrice Luchini qui fait salle comble au Monument-National. Et si, plus que toute autre chose, nous avions besoin de prendre congé de ce divertissement qui nous épuise?

Oui, étrange cet engouement pour le texte récité, qui implique une plus grande concentration que la lecture en solitaire où personne ne vous voit sauter des pages. Le texte lu, comme le fait Luchini, comme on le fait au FIL, comme on l'a fait au Moulin à paroles, exige non seulement du temps, mais qu'on soit présent et attentif à chaque seconde de ce temps. Ce n'est pas rien, quand la dispersion est de mise et qu'on angoisse dès qu'on n'a pas actualisé son statut Facebook ou envoyé son twitt quotidien.

Luchini, «rock star du texte», est, tel un point sur le nez, révélateur d'un phénomène. Il attire à lui autant les amoureux de la littérature que cette petite élite artistico-médiatique qui ne mettrait jamais les pieds dans un festival comme le FIL, et qui n'a probablement jamais lu Barthes, Valéry, encore moins Chrétien de Troyes! Comme si la culture, vêtue des habits du star-système et du comique, devenait soudainement un luxe aussi intéressant que l'inculture l'est devenue pour un bon nombre d'intellectuels blasés préférant analyser le signifiant et le signifié dans Loft Story que de se taper Perceval le Gallois. L'air de nous divertir, Luchini réussit le tour de force d'imposer des auteurs que d'aucuns subiraient comme un supplice atroce s'ils n'étaient enrobés du sucre luchinien. Et il nous fait répéter: Les mots sont des planches jetées sur un abîme...

Car si on n'a pas envie de se précipiter sur un livre en sortant du spectacle de Luchini, c'est qu'il s'agit alors vraiment d'un show... juste pour rire.