Directeur du Congress for the New Urbanism, John Norquist prône le développement de la ville autour de l'humain, plutôt que de l'auto. Auteur du livre The Wealth of Cities et ancien maire de Milwaukee, où il a contribué au démantèlement d'une autoroute, cet expert était de passage à Montréal cette semaine, à l'invitation de la Direction de la santé publique. Entretien.

Q Que prône le «nouvel urbaniste»?

R Nous aimons les pâtés de maison, les rues conviviales, le transport en commun, la mixité urbaine. Nous n'aimons pas les autoroutes, les culs-de-sac, l'étalement urbain.

Q Êtes-vous contre l'automobile?

R Non. Nous croyons qu'il est nécessaire d'accommoder l'auto, mais jusqu'à un certain point seulement, afin qu'elle ne détruise pas la ville. Prenons l'exemple de Detroit. La ville a été reconstruite pour accommoder l'auto au dépend de toute forme de vie humaine. Les routes sont larges, les bâtiments sont régulièrement démolis pour être remplacés par des stationnements. Résultat : la population a chuté de moitié.

Q Où se situe Montréal dans cette perspective?

R La situation est loin d'être aussi préoccupante qu'à Detroit, on s'entend. Vous pouvez d'ailleurs remercier l'ancien maire Jean Drapeau, qui a développé le transport en commun, en particulier le métro.





Q Il avait aussi un penchant pour les autoroutes...

R C'est vrai, et c'est bien dommage. Idéalement, Montréal se serait contenté de creuser le métro, ou à tout le moins de construire des autoroutes plus loin du centre. La plupart des villes européennes n'ont pas d'autoroute en milieu urbain, car celles-ci repoussent les gens toujours plus loin, en plus de créer de la congestion.

Q Que faire, au moment où les gouvernements s'apprêtent à investir massivement dans les projets autoroutiers?

R L'objectif ne devrait certainement pas être d'en construire davantage, de les élargir, ni même de les rénover. En fait, Montréal devrait simplement les démolir et les remplacer par des boulevards urbains. La tendance dans le monde est de les éliminer, d'ailleurs. Êtes-vous en mesure d'imaginer Paris avec une grosse autoroute de six voies la traversant...

Q Comment expliquer, dans ce cas, qu'il est question de reconstruire l'échangeur Turcot, de prolonger l'autoroute 25, de créer une autoroute dans l'axe Notre-Dame...

R Traditionnellement, la voie urbaine devait favoriser trois choses : le déplacement, la proximité sociale et le développement économique. Or il y a eu avec le temps une «surspécialisation» des agences gouvernementales, tant au Canada qu'aux États-Unis : on a choisi de se concentrer sur le premier objectif, au point d'en occulter complètement les deux autres. Or il est insensé de tout miser sur le déplacement de véhicules d'un point A à un point B, car cela n'apporte aucune valeur, ni à la ville ni à la communauté.

Q Quel modèle privilégier pour Montréal?

R Montréal est devant un choix d'une grande importance. Il peut suivre les bons exemples, comme Séoul, en Corée du Sud, où on a décidé de démolir la principale autoroute urbaine et de la remplacer par de simples rues. Le résultat est fantastique, car cela a contribué à accélérer les investissements tout en soulageant les problèmes de congestion. Ou bien Montréal peut suivre l'exemple de Detroit, qui a prouvé, il est vrai, qu'on peut régler les problèmes de congestion en faisant toujours plus d'autoroutes. Mais Detroit a aussi prouvé qu'une telle approche faisait fuir les gens, les commerces, la vie de quartier...

Q Mais Montréal, ville nordique et nord-américaine, n'est pas Séoul...

R Dans ce cas, prenez Berlin pour modèle, puisqu'elle a une faible densité comme Montréal. On y retrouve aucune autoroute à proximité du centre. Ou prenez l'exemple de Stockholm, qui reçoit beaucoup de neige. Pas d'autoroute urbaine non plus. Prenez Paris, ville pour laquelle les Québécois ont beaucoup d'attachement. Pas d'autoroute. Toutes ces villes ont plutôt misé sur des boulevards urbains, à échelle humaine. On compte 80 000 autos par jour sur l'avenue des Champs-Élysées, 50 000 sur le boulevard Saint-Germain et pourtant, il est agréable d'y marcher.

Q Des exemples nord-américains?

R Prenez San Francisco, qui a démoli l'autoroute Embarcadero pour en faire un boulevard urbain. Non seulement la circulation automobile s'est-elle grandement améliorée, la valeur des propriétés a augmenté, le nombre d'emplois dans le secteur aussi, tout comme la qualité de vie des résidents. Prenez aussi Vancouver, possiblement la ville canadienne la plus riche au kilomètre carré. Encore là, il n'y a aucune autoroute qui la traverse.

Q Donc on prend l'argent consacré aux routes et on l'investit dans le transport en commun?

R On peut faire ça. Mais on peut aussi continuer à investir dans les routes, de façon plus intelligente. On peut construire des routes qui s'insèrent bien dans leur contexte urbain, des routes qui améliorent la qualité de vie des gens et non celle de l'auto. Il y a 100 ans, les ingénieurs ont construit de très belles routes, comme Michigan avenue à Chicago, 5th avenue à New York, voire le boulevard Saint-Laurent et la rue Saint-Denis à Montréal. On peut se déplacer en auto, mais on peut aussi marcher, magasiner, socialiser, profiter de la vie.

Q Et le transport en commun?

R Il faut absolument y consacrer plus d'argent et d'énergie, car le transport en commun s'intègre bien dans la ville, il apporte de la valeur. Une fois implanté, en fait, il n'a absolument aucun impact négatif.

Q Trolleybus, tramway, service rapide par bus?

R Le trolleybus a certainement ses vertus, mais plus la ville est grande, plus le tramway devient pertinent. Il a plus de valeur, il a un effet plus durable sur l'aménagement urbain, il génère une plus grande augmentation de la valeur immobilière, etc. Le tramway démarre aussi plus rapidement que les trolleybus, il s'immobilise plus facilement et offre une plus grande capacité. C'est d'ailleurs pour toutes ces raisons qu'Ottawa envisage de remplacer certaines lignes d'autobus par des lignes de tramway.

Pour en savoir plus :

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- sur John Norquist

- sur l'héritage de John Norquist

- sur son livre, The Wealth of Cities

Photo: La Presse

John Norquist