Lundi s'amorce à Montréal la portion québécoise des consultations sur un sujet hautement controversé: l'enfouissement des déchets nucléaires dans le Bouclier canadien. Notre journaliste François Cardinal a été l'un des rares représentants des médias à visiter l'unique centrale nucléaire de la province ainsi que ses silos de déchets radioactifs.

On se croirait à la prison de Guantanamo. Il n'y a pas âme qui vive à des kilomètres à la ronde. Des gardiens de sécurité arborant M-16 et équipements militaires patrouillent les lieux. Pas moins de six clôtures Frost surmontés de barbelés nous séparent de la centrale nucléaire de Gentilly. À l'intérieur du bâtiment d'accueil, l'enregistrement prend une quinzaine de minutes et comprend une lecture optique de la main, un détecteur d'explosifs, un détecteur de métal, un rayon X, des tourniquets géants...

«Les temps ont bien changé, confie le Dr Michel Plante, un médecin à l'emploi d'Hydro-Québec. Au début de l'exploitation de la centrale, on pouvait entrer ici avec la famille pour faire visiter les lieux...»

Une fois dans l'enceinte, deux réacteurs nucléaires nous font face. À gauche, Gentilly-1, une vieille relique abandonnée il y a 30 ans pour cause de défaillance... après seulement 183 jours d'utilisation. Puis à droite, Gentilly-2, unique centrale en opération, qui fournit au Québec 3 % de son énergie.

De l'intérieur, cette dernière ressemble à n'importe quelle autre centrale thermique. Des couloirs sans fenêtres, des tuyaux surdimensionnés, des affiches de sécurité au travail, des employés se déplaçant rapidement, un vrombissement constant.

La particularité des lieux se révèle toutefois au détour d'une porte, où on a la curieuse impression de se trouver dans un vaisseau de la Guerre des étoiles: il s'agit de l'immense sas qui donnant accès au bâtiment du réacteur.

 





Photo: Martin Tremblay, La Presse

Les Simpsons

Plus loin sur la gauche se trouve la piscine qui accueille le combustible usé. C'est là qu'on immerge les grappes radioactives, ces caissons métalliques dans lesquels sont insérés plus d'un millier de pastilles d'uranium.

De la dimension d'une bûche, les grappes sont d'abord introduites mécaniquement dans le réacteur, depuis la salle de contrôle. Une salle qui nous rappelle étrangement le lieu de travail d'Homer Simpson. Mais ici, personne ne dort ou ne mange de beignes...

D'innombrables boutons et écrans permettent de voir le réacteur et de diriger les robots. On peut ainsi remplacer à distance les quelque 4500 grappes qui alimentent le réacteur. Chaque jour, on échange une quinzaine de grappes usées, qu'on envoie ensuite dans la fameuse piscine.

«L'eau est un excellent absorbeur de rayonnements ionisants et constitue ainsi un bon blindage naturel», précise le Dr Michel Plante, expert du sujet chez Hydro-Québec.

Chaque année, environ 5000 grappes de combustible irradié sont ainsi plongées dans une piscine de dimension olympique et ce, pour une durée d'au moins sept ans. Elles sont ensuite transférées à l'extérieur du bâtiment.

En sortant de la centrale, on aperçoit justement sept immenses silos de béton enlignés, dans lesquels dorment les grappes irradiées. Ces blocs d'une hauteur de plus de 7 mètres ont une durée de vie qui ne dépasse pas une centaine d'années, alors que le combustible, lui, peut conserver sa toxicité chimique pendant des centaines de milliers d'années.

D'où les consultations qui se tiendront à Montréal lundi, afin que la population ait son mot à dire dans la gestion à long terme de ces déchets radioactifs dont on ne sait que faire...

 

Grappes toxiques

Bien de l'eau lourde a coulé depuis l'accident de Three-Mile Island en 1979, et la catastrophe de Tchernobyl en 1986. En pleine renaissance dans le monde, notamment au Canada, l'industrie nucléaire a jusqu'à maintenant réussi de convaincre une portion des élus et des citoyens que ses centrales n'ont rien d'alarmantes, à tort ou à raison.

En témoigne les résultats mitigés, à ce jour, de la campagne Sortons le Québec du Nucléaire. Certes, le mouvement a rallié de gros noms à sa cause, dont plusieurs médecins, mais il n'a pas encore réussi à créer une fronde d'envergure comme celles qui ont permis de bloquer avec succès les projets de centrale thermique du Suroît ou de privatisation du mont Orford.

Cela dit, les partisans du nucléaire connaissent bien les limites de leur propre discours: personne ne sait que faire des millions de grappes hautement toxiques qui s'accumulent chaque année dans des entrepôts temporaires, un sujet explosif que l'on tente de pelleter en avant en attendant une hypothétique solution permanente.

Au Canada seulement, on pourrait remplir six patinoires jusqu'à la bande avec les déchets produits à ce jour. On évalue le nombre de grappes en dormance à 2 millions, un chiffre appelé à quadrupler dans un proche avenir.

Dans la piscine et les sept silos de Gentilly qui s'élèvent à quelques mètres de nous, on retrouve ainsi plus de 100 000 grappes radioactives dont on ne sait toujours pas ce qu'il adviendra.

«Nous ne voulons certainement pas laisser en héritage aux générations futures le problème des déchets nucléaires. Le temps d'agir est venu», estime la Société de gestion des déchets nucléaires (SGDN), un organisme constitué des producteurs nucléaires du Canada, dont Hydro-Québec.

L'objectif de la Société est de regrouper en un seul endroit tous les déchets nucléaires du pays, afin de les entreposer bien profondément dans le bouclier canadien, possiblement au Québec, le temps qu'il faudra pour trouver une véritable solution permanente. Un projet de plus de 20 milliards de dollars qui pourrait prendre plus d'une décennie à voir le jour.

Une fois enfouis, ces déchets toxiques attendront des percées scientifiques pour être possiblement éliminés ou mieux, recyclés. Bref, ils passeront d'un entrepôt temporaire à un autre.

Pendant ce temps, à Gentilly, on planifie la réfection de la centrale pour en poursuivre l'exploitation jusqu'en 2040, une facture de 1,9 milliard de dollars. On rénovera ainsi les installations, mais on construira aussi avec ces fonds une dizaine de nouveaux silos, afin de pouvoir tripler la quantité de déchets radioactifs qui s'y trouvent. En attendant...

 

francois.cardinal@lapresse.ca

 

 

LE NUCLÉAIRE

L'énergie nucléaire produit 15 % de l'électricité du Canada

-3% de celle du Québec

-50% de celle de l'Ontario

-30% de celle du Nouveau-Brunswick

 

Photo: Sylvain Mayer, Le Nouvelliste