La conférence de Copenhague s'est terminée sur un psychodrame aussi unique que le sommet qui l'aura permis.

Vendredi soir, les chefs d'État des plus grandes puissances mondiales ont quitté le Bella Center en vitesse, repartant aux quatre coins de la planète en prétendant avoir en main une entente... qui n'en était finalement pas une.

Réagissez sur le blogue de François Cardinal

Certes, les États-Unis, l'Europe et le bloc des cinq plus importants pays émergents avaient donné leur accord à un document de trois pages. Mais l'«accord de Copenhague» n'existait toujours pas. Préparé derrière des portes closes par les principales puissances, il n'avait pas l'assentiment de la centaine d'autres délégations.

 

Si bien qu'à la réouverture de la plénière des 193 pays, à 3h du matin, la colère était immense.

«C'est rien de moins qu'une poignée de petite monnaie pour trahir notre peuple et notre avenir», a lancé le Tuvalu.

«Il n'y a aucun consensus autour de ce document, nous ne voulons pas en discuter», a renchéri le représentant du Venezuela, brandissant son doigt tailladé, seule façon à ses yeux de se faire entendre.

«C'est un pacte suicidaire» pour l'Afrique, «une solution fondée sur des valeurs qui ont envoyé six millions de personnes dans les fours en Europe», a lâché le représentant du Soudan, Lumumba Stanislas Dia-Ping.

La fureur était si grande, les différends si importants, que le premier ministre danois Lars Loekke Rasmussen, qui présidait les travaux, n'a même pas soumis le texte au vote. Il a simplement mis fin aux travaux, vers 13h, en «prenant acte» de l'«accord de Copenhague».

Certes, la communauté internationale faisait ainsi un pas en avant en embarquant les États-Unis et la Chine dans le train climatique. Mais elle se dispersait surtout sans avoir en main les deux principaux éléments promis: un consensus international et une entente contraignante.

Voici trois leçons à tirer de ce marathon de négociations historique.

1) Les pays riches ont perdu leur hégémonie

Après le Bella Center, l'hôtel Radisson était sans aucun doute l'épicentre des négos à Copenhague.

C'est là, dans une scène qui rappelait Le parrain, que les chefs et représentants d'État ont défilé un à un pour rencontrer le premier ministre chinois, Wen Jiabao. Tous sont passés, même la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton.

Puis le président Obama est arrivé dans la capitale danoise. Un groupe de 26 pays s'est réuni pour tenter de dénouer l'impasse, envoyant M. Obama rencontrer deux fois M. Jiabao pour le convaincre de faire des concessions. Puis le président s'est permis un geste hors de l'ordinaire: entrer à l'improviste dans une rencontre réunissant les principaux pays émergents.

Faisant fi des protestations des responsables du protocole chinois, M. Obama a alors enjoint à ses vis-à-vis de cesser de discuter en secret, geste qui aurait permis aux pays de se rapprocher et, ainsi, de conclure l'«entente de Copenhague».

On le voit bien, le contrôle des négociations a complètement échappé à l'Europe ces derniers jours, mais aussi au président américain, qui n'a eu d'autre choix que de multiplier les rencontres bilatérales avec la Chine - non pas avec son homologue chinois, mais bien avec le numéro 2 de Pékin.

Un nouvel ordre climatique mondial est né dans la capitale danoise, où la Chine en tête et les pays en développement ont dicté l'agenda au cours des deux dernières semaines, ce qu'ils devraient continuer de faire pour un bon moment encore.

2) Fini les sommets de chefs d'État sur le climat

La conférence de Copenhague était la première rencontre de chefs d'État d'une telle ampleur...et probablement la dernière.

Car on ne les reprendra plus à ce jeu dangereux, qui consiste à se réunir avant qu'une conclusion au sommet ne soit trouvée.

Les négociateurs, habituellement, déblaient le terrain, puis passent le témoin à leur grand patron une fois la solution préparée. Mais pas cette fois. «Avant l'arrivée des chefs d'État, on était foutu», a confié l'ambassadeur de France pour le climat, Brice Lalonde.

Ce qui a obligé les leaders à faire eux-mêmes le sale boulot.

Le président russe, Dmitri Medvedev, a d'ailleurs déploré «le mauvais niveau de préparation des documents» que les leaders ont dû «rédiger eux-mêmes». Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, a dit n'avoir «jamais assisté à une rencontre aussi chaotique».

Pourquoi donc, dans un tel contexte, 119 chefs d'État ont-ils accepté de converger dans la capitale danoise? La pression était tout simplement trop grande. Le dirigeant qui aurait osé lever la main pour annoncer son absence aurait aussitôt été cloué au pilori.

Parlez-en à Stephen Harper, qui a décidé à la toute dernière minute de s'y rendre.

Ou au président Obama, dont la rumeur voulait jeudi, au moment où l'échec semblait inévitable, qu'il annonce sa décision de ne pas aller à la conférence, et qui a fini par prononcer un discours sans enthousiasme.

Témoin symbolique, mais néanmoins éloquent de ce rendez-vous manqué: la photo de famille a été reportée, puis annulée.

3) 2010 sera une année éprouvante

Copenhague était le rendez-vous des rendez-vous, l'ultime rencontre pour sauver la planète. Et pourtant, la conférence s'est terminée sur un «au revoir», à l'année prochaine, à Mexico.

Jamais la mobilisation n'aura été aussi grande que dans les mois précédant ce sommet, jamais un tel sentiment d'urgence ne pourra se reproduire.

«Le risque, désormais, c'est le coup de blues post-Copenhague, la démobilisation, l'effilochement des opinions publiques», a indiqué avec justesse le climatologue français Hervé Le Treut.

Car, après tout le ramdam des derniers mois, les pays se sont quittés quasiment bredouilles, ce qui ne peut qu'alimenter la déception et le cynisme dans la population.

Les dirigeants, en effet, n'ont réussi à s'entendre ni sur un échéancier ni sur la hauteur des réductions d'émissions de gaz à effet de serre que chacun devra atteindre, et ce, à trois ans à peine de l'échéance de la première phase du protocole de Kyoto.

Pis encore, les divisions sont plus grandes que jamais: les pays en développement ne font plus confiance aux pays riches, qui ne font plus confiance à la Chine, qui s'est dissociée du groupe des pays en développement...

La communauté internationale a beau s'être donné rendez-vous à Mexico, en novembre 2010, rien ne garantit qu'elle aura alors plus de succès.

Pour joindre notre journaliste: francois.cardinal@lapresse.ca