Le Michael Jackson qui est mort hier n'avait plus rien à voir avec le roi de la pop, l'icône de la musique urbaine et le champion des pistes de danse qu'il a longtemps été pour ses millions de fans.

Regardez les photos récentes du chanteur excentrique de 50 ans. Vraiment, il faisait peur avec son nez charcuté par la chirurgie plastique, sa peau décolorée par on ne sait plus trop quoi, ses yeux anormalement ronds et ses masques chirurgicaux voilant le bas de son visage émacié. Pour bien des gens, la star restera ce fantôme frêle et bizarre qui s'est contruit un parc d'attractions (Neverland, en l'honneur de son idole Peter Pan), où s'amusaient le singe Bubbles et l'enfant acteur Macaulay Culkin. Et malgré son acquittement en 2005, les soupçons d'agression sexuelle sur des préadolescents ont toujours flotté autour du chanteur reclus. Voilà pour l'aspect freak show de la vedette.

Moi, le Michael Jackson que j'ai aimé, que j'ai adulé et que j'ai admiré a vécu entre 1979 et 1991, soit entre la parution du génial disque Off The Wall et son dernier potable, Dangerous. Après, l'étoile de Michael a pâli encore plus rapidement que la couleur de ses traits.

Coproduit par Quincy Jones, Off The Wall reste encore aujourd'hui, près de 30 ans plus tard, un bijou de sonorités funk, disco et soul, qui a ouvert la voie à tous les Usher, R. Kelly, Kanye West, Britney Spears, Justin Timberlake et Ne-Yo d'aujourd'hui. Tous ont tenté de l'imiter. Personne ne lui est encore arrivé à la cheville.

Glissez Off The Wall dans votre lecteur et essayez de ne pas gigoter sur Rock With You et Don't Stop 'Til You Get Enough. De la musique pop brillante comme il ne s'en fabrique plus aujourd'hui.

Avec Thriller, un des premiers vinyles que j'ai achetés chez Discus avec mon argent de poche, Michael Jackson a marqué l'histoire de la musique, rien de moins, mais aussi du vidéoclip, qu'il a élévé au rang d'art cinématographique.

Impossible de ne plus associer Thriller aux images de zombies décharnés qui se trémoussent en ligne avec le chanteur aux cheveux gominés. Grâce à Jacko, la musique et l'esthétique visuelle ont fusionné, formant un des outils de marketing les plus efficaces pour tous les artistes de la génération MTV.

Thriller, c'était aussi un puissant vecteur de culture populaire et de mode de rue. C'était l'époque où tous les jeunes, en ville comme dans les banlieues, se baladaient avec des gants pailletés, des perfectos rouge pompier et des loafers en cuir noir.

C'était l'époque où nous essayions tous de maîtriser l'art du moonwalk, un pas de danse glissé que Michael Jackson a introduit sur Billie Jean, une chanson qui sert aujourd'hui - malheureusement - à danser le continental dans tous les mariages québécois.

C'était l'époque de Wanna Be Starting Something, de The Girl Is Mine (en duo avec Paul McCartney) et de P.Y.T., pour Pretty Young Thing, autre bombe de discothèque. Du groove à la pelletée.

Alors que les chaînes musicales comme MuchMusic et MusiquePlus décollaient chez nous, Jackson continuait d'imposer la dictature de l'image, bien amorcée avec Thriller, et cimentée avec Bad, un vidéoclip (un court métrage, en fait) réalisé par le grand cinéaste Martin Scorsese (Raging Bull, GoodFellas).

Sur Bad, encore une pléthore de succès, dont The Way You Make Me Feel, I Just Can't Stop Loving You, Dirty Diana et Smooth Criminal. Non, mais quel génie! C'est de ce Michael-là qu'il faut se souvenir, l'artiste visionnaire qui dansait comme un dieu et dont la voix haut perchée a maintes fois été copiée (n'est-ce pas Justin Timberlake?).

En lançant Dangerous en 1991, son dernier CD vraiment intéressant, Jackson a poursuivi son exploration des vidéoclips léchés et stylisés, notamment avec le superbe Black or White, où des visages de toutes les couleurs et de toutes les formes se fondaient les uns dans les autres. Magnifique.

Pour In the Closet, MJ a retenu les services du réputé photographe Herb Ritts. Pour Who Is It, une pièce quasiment inconnue, il a embauché David Fincher (Seven, Fight Club, Benjamin Button).

Après Dangerous, alors que les bizarreries s'accumulaient dans le dossier Jackson, j'ai tranquillement abandonné mon idole de jeunesse. Parce que le mythe s'effritait sous mes yeux. Parce que la légende agonisait. Et parce que, comme pour les fans d'Elvis Presley, je préférais ranger l'image d'un Michael équilibré et en santé dans son dossier à souvenirs.

Hier soir, en réécoutant en boucle tous ses succès, c'est le Michael Jackson des années 80 qui dansait dans mes souvenirs. Bien naïvement, je me cramponne à cette image. Et à celle de moi, qui saute sur un petit lit en me prenant pour lui (mais sans le manteau avec les multiples fermetures éclair, parce qu'il coûtait trop cher).