Les huées ont retenti à Anfield à la fin du match nul de 0-0 entre Liverpool et West Ham United, hier, comme elles le font au Centre Bell les soirs où le Canadien prend un malin plaisir à faire damner ses partisans.

George Gillett, en visite surprise dans la ville des Beatles pour la première fois en trois mois, ne devait pas être trop dépaysé.

Il devait même être soulagé: la frustration des 41 169 spectateurs réunis dans le stade du Liverpool FC, n'était pas, pour une fois, dirigée vers son partenaire Tom Hicks et lui-même. Elle visait plutôt la troupe du manager Rafael Benitez, incapable de vaincre une équipe qui flirte avec la relégation.

La bonne nouvelle pour le copropriétaire du Liverpool FC, c'est que son club se retrouve ce matin seul en tête du championnat anglais, un point devant Chelsea. La mauvaise, c'est que l'incertitude semble planer sur son avenir à la tête de l'équipe, qu'il a achetée avec le Texan Hicks, à l'hiver 2007.

Le Sports Business Journal (SBJ) rapportait en effet, hier, que Gillett tente présentement de refinancer une dette personnelle de 75 millions de dollars américains, pour laquelle il a donné en garantie sa participation dans Liverpool.

Selon le SBJ, Gillett, également propriétaire du Canadien et actionnaire majoritaire de l'écurie de NASCAR Gillett Evernham Racing, a emprunté la somme en janvier dernier, au taux de 19%, auprès de Mill Financial, une division d'un prêteur de la Virginie, Springfield Financial Co.

Citant des sources anonymes au fait des tractations en cours, l'hebdomadaire américain soutient que l'emprunt vient à échéance le 25 janvier prochain. Il lie Gillett Football, le véhicule par le truchement duquel Gillett détient ses parts dans Liverpool.

Selon une déclaration financière versée au registre des débiteurs du Delaware, dont La Presse a obtenu copie, l'emprunt met en garantie Football Investments - la société mère de Gillett Football, rapporte le SBJ. «Si Gillett s'avère incapable de refinancer et ne rembourse pas son emprunt à la date d'échéance du 25 janvier, il serait en défaut, ce qui signifie que le prêteur pourrait exiger son titre de propriété (ownership position) dans Liverpool», avance le journal.

S'appuyant sur des sources confidentielles, le SBJ affirme que Springfield entend vendre sa créance d'ici le milieu du mois de décembre. Gillett souhaiterait la racheter avec l'appui d'un groupe d'investisseurs, ce qui lui permettrait de reporter la date d'échéance. Mais au moins un autre acheteur potentiel serait sur les rangs et aurait dans le collimateur la part de Gillett dans Liverpool, toujours d'après SBJ.

L'argent dû par Gillett représente sa part de l'injection de capital supplémentaire requise par ses créanciers au moment de refinancer le prêt de 280 millions de livres (aujourd'hui 520 millions$) que l'homme d'affaires et son partenaire Tom Hicks ont encouru à l'hiver 2007 pour l'achat du club.

Plus complexe que prévu

Ce refinancement, en janvier dernier, s'est avéré plus complexe que prévu, en raison du resserrement qui avait déjà commencé à se faire sentir sur le marché du crédit. «Que Gillett se retrouve à essayer de racheter un billet à ordre d'un prêteur relativement obscur de la Virginie souligne l'ampleur des difficultés financières que lui et son partenaire Tom Hicks ont rencontrées depuis qu'ils ont acheté Liverpool en 2007», note le SBJ.

De fait, un taux de 19%, digne de celui d'une carte Visa ou Master Card, ne laisse pas de surprendre. Ou bien George Gillett pensait engranger un profit intéressant en revendant rapidement le club - auquel cas il n'aurait eu aucun mal à rembourser l'emprunt - ou bien il n'avait tout simplement pas le choix de payer le gros prix s'il voulait conserver son emprise sur le club.

J'aurais aimé discuter de tout cela avec M. Gillett, qui a passé plusieurs heures à Anfield avant d'assister au match contre West Ham. Par l'intermédiaire d'un relationniste du club, je lui ai transmis une note sollicitant une entrevue. M. Gillett a décliné.

Un vif ressentiment

Quoi qu'il en soit, la nouvelle ne manquera pas d'alimenter les conversations chez les partisans de Liverpool, qui ne portent pas le tandem Hicks-Gillett dans leur coeur.

À Montréal, Gillett est généralement perçu, sans doute à juste titre, comme un bon propriétaire. Il a remis le Canadien sur ses rails, tant sur la patinoire que d'un point de vue financier, tout en respectant la riche tradition de l'équipe et en laissant Bob Gainey et le reste du personnel de hockey faire leur travail.

La perception ne saurait être plus différente à Liverpool.

En février dernier, j'avais visité la ville, alors en pleine ébullition. Un groupe avait lancé Share Liverpool FC, un projet visant un rachat du club par ses fans. La même semaine, une association de partisans baptisée Spirit of Shankly, du nom d'un célèbre manager du club, voyait le jour en réaction à ce que les fans percevaient comme les promesses non respectées de Hicks et Gillett.

«Ils se foutent de Rafa. Ils se foutent des fans. Le Liverpool FC n'est pas entre bonnes mains», avaient scandé pendant 20 minutes 2000 partisans restés à leurs sièges après un match contre Sunderland.

Dix mois plus tard, l'heure n'est plus aux manifestations, mais le ressentiment demeure vif envers les propriétaires américains, si j'en juge par la longue discussion que j'ai eue hier avec des membres du Spirit of Shankly, dans un pub situé à l'ombre du Kop, la légendaire tribune d'Anfield.

On reproche à Hicks et Gillett d'avoir mis sur la glace le projet de nouveau stade de plus de 70 000 places, eux qui avaient promis que le premier coup de pelle serait donné «dans les 60 jours» suivant l'achat du club. On les accuse de faire traîner les négociations entourant le renouvellement du contrat de Rafa Benitez. On ne leur pardonne pas d'avoir imputé au club une bonne partie de leur dette d'acquisition, reniant ainsi leur engagement de ne pas imiter la famille Glazer, propriétaire de Manchester United.

«Ils ont traîné le nom de Liverpool dans la boue», dit Stephen Martin, cuisinier dans la vie, quand il n'est pas occupé à militer pour les droits des partisans.

N'essayez pas de leur dire que pour un club supposément si mal géré, Liverpool - premier au championnat, qualifié pour la ronde des 16 en Ligue des champions - va plutôt bien. Ou que l'équipe n'a pas hésité à dépenser sur le marché des transferts, payant notamment le fort prix pour obtenir l'attaquant Robbie Keane. «Nos succès sur le terrain surviennent malgré Hicks et Gillett, pas à cause d'eux», assure Fran Stanton, un fonctionnaire.

En fait, «la seule bonne chose que Hicks et Gillett ont faite, c'est qu'ils nous ont forcés à créer notre association», lance leur ami John Murphy.

Ils aiment citer Bill Shankly, qui a dit un jour qu'un propriétaire n'a qu'un seul rôle: «Signer des chèques». Ils craignent justement que Hicks et Gillett, devant l'endettement important du club, ne puissent bientôt plus en signer. «Leur cupidité s'est retournée contre eux. Ils sont pris avec un club qu'ils ne peuvent plus se permettre», soutient James McKenna, un étudiant.

La hargne de ces partisans est telle qu'on finit par soupçonner un fond d'anti-américanisme. Ils s'en défendent bien, soulignant qu'ils avaient accueilli Hicks et Gillett à bras ouverts, avant de voir leurs espoirs déçus.

En fait, on constate surtout, à les écouter, qu'ils se sentent dépossédés d'une institution qu'ils vénèrent comme leurs pères et leurs grands-pères avant eux. Liverpool, c'est une religion, m'a dit un partisan. Mais les fidèles aimeraient de toute évidence qu'on les écoute davantage. «C'est notre club de football, pas le leur. Il faut qu'ils comprennent ça.»

Liverpool FC

Fondé en 1892, le Liverpool Football Club est le club le plus primé d'Angleterre avec:

18 championnats nationaux

7 Coupes d'Angleterre

7 Coupes de la Ligue

5 titres de la Ligue des champions

3 Coupes de l'UEFA

3 Supercoupes l'UEFA

1 Coupe du monde des clubs