Bob Gainey vient à peine de descendre derrière le banc que déjà, le Tout-Montréal se demande qui occupera le poste d'entraîneur-chef du Canadien l'an prochain. Une chose me semble évidente: le CH doit maintenir la tradition d'embaucher un entraîneur francophone.

Par francophone, j'entends ce qu'en dit le Petit Robert: «qui parle habituellement le français, au moins dans certaines circonstances de la communication, comme langue première ou seconde». Pas besoin que son certificat de naissance soit frappé d'une fleur de lys ou qu'il puisse citer Jean Perron dans le texte. Juste qu'il puisse expliquer dans la langue de Claude Ruel pourquoi c'est Carey Price et non Jaroslav Halak qui est devant le but.

 

Petite note en passant à ceux qui seraient tentés de me dépeindre comme un chroniqueur en ceinture fléchée, un vilain séparatisse qui ne sera pleinement satisfait que le jour où le Bonhomme Carnaval ou Pierre Falardeau s'installera derrière le banc du Canadien.

J'ai souvent écrit dans ces pages que je n'avais rien à foutre du fait que Saku Koivu ne parle pas français. Le capitaine d'une équipe de hockey, que ce soit le Canadien de Montréal, les Maple Leafs de Toronto ou les Pousseux d'puck de Saint-Clin-Clin-des-Meux-Meux, n'a de responsabilité qu'envers ses coéquipiers. Sa tâche est d'agir en leader, pas de faire plaisir à la Société Saint-Jean-Baptiste. Qu'il parle français, anglais, finnois ou swahili - excusez-moi, but who cares? On peut débattre du leadership de Saku Koivu, mais le fait qu'il ne parle pas français n'a rien à voir.

Le raisonnement ne vaut toutefois plus quand il est question de l'entraîneur. La ligne, c'est là que je la trace, compte tenu de ce que représente le Canadien dans l'histoire de Montréal et du Québec, de la place unique qu'il occupe, du statut de quasi-religion de la sainte Église tricolore.

Je sais bien que l'équipe a des partisans partout au Canada, de l'île de Vancouver à Terre-Neuve. Mais le noyau dur des partisans, celui qui procure à RDS ses cotes d'écoute extraordinaires, est formé de Québécois, dont la grande majorité sont francophones.

Ces fans-là ont droit à ce que l'homme qui incarne l'équipe leur parle dans leur langue. Ils ont droit à ce que celui qui rencontre les médias jour après jour afin d'expliquer pourquoi l'équipe va bien ou mal, soit capable de dire autre chose que «bonjour» et «merci». C'est une simple question de respect envers son auditoire. Et puis, c'est drôle, mais j'ai beaucoup, beaucoup de difficulté à imaginer un unilingue francophone coacher à New York ou à Toronto...

Vous me direz que le fait que Marc Trestman ne parle pas français n'empêche pas les Alouettes de remplir le stade Percival-Molson. Idem pour Don Matthews, Marv Levy et probablement la totalité des entraîneurs des Oiseaux au fil des années. C'est vrai. Mais pour Montréal, pour le Québec tout entier, les Alouettes ne sont pas le Canadien. Le club de Bob Wettenhall n'a pas la valeur symbolique du Tricolore et surtout, il ne suscite pas les mêmes passions.

Je ne prétends pas que le Canadien a le devoir de donner leur première chance dans la Ligue nationale aux meilleurs entraîneurs francophones - même si je doute fort que Jacques Lemaire, Jean Perron, Pat Burns, Mario Tremblay, Alain Vigneault, Michel Therrien, Claude Julien et Guy Carbonneau auraient eu les carrières d'entraîneur qu'ils ont eues si le CH ne leur avait pas d'abord ouvert ses portes.

Je dis simplement que le Canadien ne peut faire fi de la réalité de son marché. À moins de dénicher le prochain Scotty Bowman - qui, soit dit en passant, est natif de Montréal et parle français - le club doit embaucher un coach francophone. Et malgré ses qualités, qu'on dit nombreuses, je doute que Don Lever, qu'il aille ou non suivre un cours chez Berlitz, soit un Scotty 2.0.

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Qui, alors? Pas Patrick Roy, à moins de vouloir risquer de répéter ce qui vient de se produire avec Carbonneau. Surtout qu'il faut, je pense, quelqu'un qui a l'expérience de la Ligue nationale, ce qui élimine un candidat valable comme Benoit Groulx.

C'est bête, mais je pense que le candidat le plus naturel, on l'a déjà sous les yeux. C'est Bob Gainey lui-même. Avec l'équipe d'adjoints qu'il a, tant au niveau de la glace qu'au septième étage du Centre Bell, il pourrait très bien cumuler les postes d'entraîneur et directeur général.

Je suis sûr que les joueurs ne diraient pas non. J'écoutais hier Mathieu Dandenault, Mike Komisarek et Chris Higgins parler de Gainey: le respect qu'il inspire chez eux est évident. Quand il parle, les joueurs écoutent, ce qui ne semblait plus être le cas dans les derniers jours du règne de Guy Carbonneau.

Il y a toutefois un gros, un énorme «mais». Il faudra d'abord que Gainey parvienne à conduire le Canadien en séries. Et il faudra que, rendue là, l'équipe fasse un bon bout de chemin (une longue série de deuxième ronde devrait être le strict minimum). Sinon, son travail non seulement d'entraîneur, mais aussi de directeur général devra être réévalué sérieusement.

Si on en arrive là, les chances d'un certain Bob Hartley n'auront jamais été meilleures.