Loin de moi l'idée de diminuer la valeur de la belle et réjouissante victoire de Rio de Janeiro. Mais se pourrait-il que derrière le triomphe brésilien, et surtout l'étonnante défaite au premier tour de Chicago, se cache une banale affaire d'argent?

Les voies du Comité international olympique, c'est bien connu, sont impénétrables. Ses membres choisissent les villes olympiques par vote secret, au terme d'un processus censé refléter une évaluation objective des candidates à l'obtention des Jeux olympiques.

 

Mais dans les faits, le résultat dépend bien davantage de complexes jeux de coulisses que de la valeur intrinsèque de chaque dossier. D'autant plus qu'au fond, toutes les villes qui atteignent la phase finale de sélection sont techniquement capables d'organiser les Jeux.

Impossible, donc, de dire avec certitude ce qui s'est passé dans la tête des membres du CIO qui se sont exprimés hier à Copenhague. Mais il est difficile d'échapper à l'impression que Chicago, pourtant forte de l'appui du couple présidentiel américain, a payé le prix du contentieux économique qui oppose depuis plusieurs années le CIO et le Comité olympique américain (USOC).

En vertu d'accords conclus il y a une vingtaine d'années, l'USOC reçoit à lui seul 20% des revenus de commandite engrangés par le CIO et 12,75% des droits de télévision - ce qui représente des centaines de millions de dollars. Les 204 autres pays membres du mouvement olympique se partagent le reste.

Cette répartition, qualifiée l'an dernier d'«immorale» par le Néerlandais Hein Verbruggen, président de l'Association des fédérations de sports d'été et membre influent du CIO, a été négociée à l'époque où la quasi-totalité des revenus commerciaux du CIO provenaient des États-Unis. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Jusqu'ici, l'USOC, dont le leadership a changé à plusieurs reprises ces dernières années, est resté sourd aux demandes du CIO. Une trêve a toutefois été décrétée plus tôt cette année et les négociations entre les deux camps ne reprendront pas avant 2013, tandis que les Américains ont mis sur la glace un projet de chaîne télévisée olympique qui irritait au plus haut point les bonzes du CIO.

Mais, à l'évidence, cette trêve n'a pas empêché le CIO de profiter du choix de la ville hôtesse des Jeux de 2016 pour passer un message clair aux États-Unis: «Vous voulez vraiment les Jeux? Alors commencez donc par négocier sérieusement avec nous.»

Au CIO peut-être encore plus qu'ailleurs, l'argent est le nerf de la guerre. Et tant pis si ça se traduit par un pied de nez à Barack Obama, qui avait fait un aller-retour éclair au-dessus de l'Atlantique à bord d'Air Force One pour s'adresser aux délégués - et qui devra maintenant encaisser son lot de critiques pour un échec qui n'est pas le sien.

Il ne fait par ailleurs aucun doute que les efforts du comité de candidature brésilien et du président Luiz Inacio Lula da Silva pour séduire les membres du CIO originaires de pays en voie de développement, et notamment le bloc de 15 délégués africains, ont porté des fruits.

Le choix de Rio, qui sera la première ville du continent sud-américain à accueillir la grand-messe olympique, permet au CIO d'être fidèle à sa volonté affichée d'universalisme. Il lance un signal d'ouverture à un continent de 180 millions d'habitants et à un pays, le Brésil, qui s'est hissé parmi les 10 plus grandes puissances économiques de la planète (la seule à ne pas encore avoir présenté les Jeux, a bien pris soin de rappeler le président Lula dans son discours au CIO, hier).

Rio de Janeiro a organisé avec succès les Jeux panaméricains, en 2007. Et le Brésil a convaincu la FIFA de lui confier la présentation de la Coupe du monde de soccer en 2014. Le CIO commençait donc à manquer d'excuses pour continuer à snober le pays de Pelé.

Rio devra bien sûr relever d'énormes défis, à commencer par celui de la sécurité, difficile à garantir avec certitude dans une ville où de 10 à 15% des 13 millions d'habitants vivent dans des favelas dominées par les gangs. Les transports entre les quatre sites olympiques envisagés par le comité de candidature soulèvent aussi des interrogations dans une ville à la topographie aussi particulière que celle de Rio.

Mais il est difficile de ne pas être d'accord avec Lula quand il dit que le moment était venu de «mettre fin au déséquilibre» qui a historiquement favorisé l'Europe, l'Amérique du Nord et l'Asie et «d'allumer la vasque olympique dans un pays tropical».

L'Afrique devient maintenant l'ultime frontière du CIO. À en juger par le résultat d'hier, il n'en tient sans doute qu'à l'Afrique du Sud de faire un succès de la Coupe du monde de soccer, qu'elle présentera l'été prochain, pour avoir sa chance à son tour.