Drôle de campagne que celle que mène Stéphane Dion. Une campagne qui défie toutes les règles du genre.

Règle numéro un: quand le chef est faible, on joue l'équipe. Or, on ne voit jamais le chef libéral entouré des poids lourds de son parti - les Rae, Ignatieff, Dryden et compagnie. Ce n'est qu'au 10e jour de la campagne que Bob Rae est apparu à l'avant-plan. Sur les photos et à la télé, en général la seule personne que l'on voit aux côtés de Dion, c'est sa femme.

 

Règle numéro deux: le chef doit avoir un message clair, et qui répond aux aspirations des électeurs. Or, le message central de M. Dion, c'est ce Tournant vert alambiqué, que personne ne comprend, et qui rebute un électorat rétif à l'idée d'une hausse de taxe. Même les candidats libéraux sont incapables d'expliquer ce plan-là à leurs électeurs!

Règle numéro trois: un chef en tournée va visiter en priorité les comtés «difficiles», pour prêter main-forte à des candidats en danger ou pour donner un coup de pouce à ceux qui commencent à avoir le vent dans les voiles. Or, M. Dion a inauguré sa tournée au Québec en se cantonnant dans trois comtés où même un cochon peint en rouge serait élu - Westmount, Notre-Dame-de-Grâce et sa propre circonscription de Saint-Laurent.

Règle numéro quatre: les campagnes électorales sont des exercices tellement complexes que le chef doit être entouré par des professionnels compétents. Or, Stéphane Dion semble décider de tout. Les vétérans du parti ont été écartés. Les vedettes du parti aussi. Les avis du sondeur du parti, Michael Marzolini, ont été relégués aux oubliettes. M. Dion va jusqu'à corriger lui-même le contenu des annonces publicitaires! Ce «micro-management» montre que M. Dion ne se fie (ou n'ose se fier) à personne.

On a l'impression que la seule personne qu'il écoute, c'est sa femme. Or, une femme est la personne la moins bien placée pour tenir un rôle de conseiller principal dans ces grandes joutes: elle est trop proche, trop émotive, trop préjugée.

Règle numéro cinq: un chef doit se présenter, bien évidemment, sous son jour le plus aimable, mais ne doit pas essayer de se métamorphoser complètement car personne n'y croira. En voyant les images «soft» de Harper en chandail avec ses enfants, on y croit parce que l'on sait que Harper est, dans la réalité, un bon père de famille avec de jeunes enfants. Mais Dion en coureur des bois? C'est possible, mais pour que cela soit crédible, c'est bien avant la campagne qu'il aurait fallu essayer de remodeler l'image. Et quand, dans une pathétique tentative de faire «peuple» comme Trudeau s'y amusait parfois, Dion s'exclame: «On va avoir du fun! Le party, c'est au Parti libéral qu'il se passera!», alors là Dion en «gars de party»?

Le chef libéral est intelligent, probablement davantage que ses rivaux, encore qu'il soit, à ce chapitre, dans la même ligue que Stephen Harper - un cérébral lui aussi, mais qui, contrairement à Dion, est un excellent tacticien, un homme qui mène sa barque avec une dextérité consommée.

Dion est un homme de dossier. Il fut un ministre compétent, tant aux Affaires intergouvernementales qu'à l'Environnement. Sa loi sur la clarté (référendaire) était une loi très correcte, et a d'ailleurs été accueillie, au Québec, beaucoup plus positivement qu'on le prétend aujourd'hui (les sondages de l'époque en font foi). Il s'est certainement distingué au ministère de l'Environnement.

Le problème, c'est que les qualités qui font un bon ministre - conscience professionnelle, capacité d'assimilation, etc. - ne suffisent pas à faire un bon leader. Pour cette dernière tâche, il faut de l'entregent, l'art de diriger de vastes équipes sans froisser trop de sensibilités, une vision synthétique plutôt qu'analytique, la capacité de rallier des clans opposés, etc. Or, un an et demi après avoir été élu à la tête de son parti presque par hasard (il n'était pas le premier choix de la grande majorité des délégués), Dion n'a toujours pas réussi à payer ses dettes de campagne, et toujours pas réussi à ramener l'unité dans le parti - deux signes immanquables d'un important déficit de leadership.