Ite, missa est... Allez, la messe est dite. La cérémonie, faut-il dire, fut fort longue - pas moins de 37 jours! C'est dur, quand on a l'oreille rivée à des sermons répétitifs parsemés de clameurs démagogiques.

La messe étant dite, les fidèles se retrouvent sur le parvis, contemplant le destin que leur impose le dieu des élections - le destin qu'en vérité ils se sont imposés à eux-mêmes, et avec lequel ils devront vivre ces prochains mois, sinon ces prochaines années... 

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Contrairement à ce qu'avaient prévu les sages et les sondages, le gouvernement Harper, loin d'émerger du combat en leader estropié, est reconduit avec une députation considérablement renforcée, à une dizaine de sièges de la majorité; il pourrait même suffire de quelques défections, dans les rangs libéraux, et de quelques victoires à des élections partielles, pour que M. Harper se retrouve à un moment donné à la tête d'un gouvernement majoritaire.

Le Bloc québécois, dont on prédisait, vers la fin de la campagne, qu'il serait le grand gagnant de cette élection, n'a ni progressé ni reculé par rapport aux résultats de 2006. Idem pour le NPD, qui en reste à peu près au statu quo... et qui, au moment d'aller sous presse, était en train de perdre son comté chèrement gagné d'Outremont. Les Verts, malgré le petit courant d'excitation provoqué par l'accession d'Elisabeth May dans le clan des chefs de parti, se retrouvent Gros-Jean comme devant, avec zéro député.

Les seuls pour lesquels cette soirée d'élection représente un choc profond sont les libéraux. Exit le Tournant vert, ce thème surréaliste que Stéphane Dion s'est obstiné à proposer à un électorat rétif. Exit Stéphane Dion lui-même - en tout cas, ce n'est qu'une question de temps.

En 1984, le PLC avait donné une seconde chance à John Turner, qui s'en était allé à l'abattoir quatre ans plus tard, non sans mener un vigoureux baroud d'honneur contre le libre-échange. Mais à l'époque, même si déjà Jean Chrétien piaffait d'impatience, les clans visant à le remplacer n'étaient pas vraiment en position de combat. Surtout, John Turner avait de forts appuis au sein du parti, ce qui n'est pas du tout le cas de Stéphane Dion.

Le PLC d'aujourd'hui est divisé en deux armées prêtes à entamer demain matin la guerre du leadership, celles de Michael Ignatieff et de Bob Rae, sans compter les troupes des ambitieux roitelets de la relève, comme les Gerald Kennedy et son compère Justin Trudeau, qu'on a vu copiner coude à coude lors du congrès au leadership de décembre 2006. Ces batailles seront longues et épuisantes pour un parti désorganisé, qui se trouve au surplus en très mauvaise situation financière.

Voilà qui constitue une autre bonne nouvelle pour Stephen Harper, qui fera face à une opposition officielle impuissante, tout entière occupée à ses guerres intestines, et donc incapable de renverser le gouvernement d'ici au moins deux ans.

Stephen Harper a raté de justesse le gouvernement majoritaire qu'il souhaitait ardemment sans jamais le proclamer trop fort. Mais en fait, il l'aura presque obtenu : à une dizaine de sièges de la majorité, et face à une opposition officielle en débandade et occupée par la bataille à venir du leadership, il pourra gouverner à peu près comme il l'entend.

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Pour le Québec, cependant, le résultat des élections est catastrophique. Aucun nouveau «ministrable» n'a émergé de la députation conservatrice québécoise. Le PC, au Québec, a pu rescaper Jean-Pierre Blackburn mais a perdu Michael Fortier et André Bachand, et se retrouve avec la même petite équipe faiblarde qui s'est si mal défendue durant la campagne électorale.

Le Québec, encore une fois, a jeté presque tous ses oeufs dans le panier du Bloc, ce parti voué à l'opposition perpétuelle. Face à un gouvernement quasiment majoritaire sans représentation québécoise forte, le Québec se retrouve le grand perdant de ces élections.

Ite missa est... Allez, la messe est dite, il est temps d'aller se coucher. Il n'y aura pas de réveillon.