Leçon à méditer pour les libéraux: c'est au centre qu'on gagne les élections. C'est ce que vient de leur rappeler fort opportunément l'ancien ministre John Manley, qui lui-même lorgne vers le leadership.

«Si j'avais à critiquer Stéphane (Dion)», disait-il cette semaine à notre collègue Gilles Toupin, «je dirais qu'il a entraîné le parti sur un terrain très encombré où peu de votes sont disponibles, c'est-à-dire à gauche. Ce n'est pas en se campant sur ce territoire qu'on gagne des élections.»

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Effectivement, l'image qui a régné sur la campagne, c'est que le PLC faisait partie, avec le NPD et les verts, du camp «progressiste» ou du camp dit «de gauche». Les conservateurs s'étant fermement positionnés au centre droit, il ne restait plus rien au centre de l'échiquier, là où pourtant loge la majorité des citoyens canadiens.

Ce glissement vers la gauche est l'oeuvre personnelle de Stéphane Dion. Le point central de sa campagne était ce Tournant vert, que tous les vétérans libéraux l'avaient supplié de remiser. Non seulement était-ce le comble de la stupidité de partir en campagne en promettant une nouvelle taxe, mais du même coup, M. Dion annonçait tranquillement à la classe moyenne qu'elle n'en verrait pas le bénéfice, car les sommes récoltées par la taxe sur le carbone iraient à la lutte contre la pauvreté.

La même mentalité socialisante se lisait dans la pléthore de nouveaux programmes gouvernementaux contenus dans la plateforme du parti, programmes qui venaient tous avec une armada de nouvelles réglementations et de nouveaux fonctionnaires. Même le NPD n'en faisait pas autant!

L'erreur la plus incongrue fut de placer le PLC - un grand parti de gouvernement - sur le même pied que la formation marginale des verts.

Au lieu d'inciter les électeurs soucieux de l'environnement à se rallier à son propre parti, M. Dion a décidé d'aider les verts en s'abstenant de présenter un candidat libéral contre Elizabeth May, et en insistant pour que cette dernière participe au débat des chefs. C'est à de pareils choix qu'on voit que Stéphane Dion n'a pas les réflexes normaux d'un chef de parti. Il réagit avec la rectitude angélique d'un curé laïque.

Pour le PLC, c'était un marché de dupes, car les libéraux n'avaient rien à gagner à s'allier à un minuscule rival incapable de lui apporter quoi que ce soit... Imaginez! Mme May, en échange d'une visibilité accrue et d'un gros coup de main dans Central Nova, accepta de ne pas présenter un vert dans la circonscription de M. Dion... où n'importe quel poteau peint en rouge aurait été élu.

Résultat: les libéraux de Central Nova, furieux d'avoir été brutalement écartés de la course et privés de candidat, votèrent en bon nombre pour le conservateur Peter McKay!

Malgré le vertueux appui du chef libéral et tout le tintouin des médias autour d'Elizabeth May, les verts se sont piteusement écrasés partout, même dans la très écologique Colombie-Britannique. Ils ont récolté 6,8% du vote (deux fois moins au Québec), ce qui représente un progrès de... 2,3% par rapport à 2006! Ils n'ont fait élire aucun député. Le transfuge Blair Wilson, l'ancien libéral passé aux verts, a été battu à plate couture dans West Vancouver-Sunshine Coast, avec 14,4% du vote!

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En revanche, les votes grignotés aux libéraux par les verts ont fait perdre aux premiers plusieurs circonscriptions. La même érosion du vote libéral s'est produite du côté du NPD - normal, puisque les libéraux de Dion se présentaient comme un clone du NPD (mais en plus vert). Au lieu de gagner des votes au centre, le PLC a perdu des votes à gauche!

Gilles Toupin, dans notre numéro d'hier, établit à une vingtaine de circonscriptions les pertes libérales dues à la concurrence des verts et du NPD. Vingt circonscriptions, cela n'aurait pas suffi à redonner le pouvoir au PLC, mais le résultat aurait été moins humiliant que celui du 14 octobre.

Nul ne peut prédire qui sera le gagnant de la nouvelle course au leadership qui s'amorcera tôt ou tard au Parti libéral. Mais ce qui est sûr, c'est que le prochain leader sera quelqu'un qui promettra de ramener le parti au centre, sur le terrain des vainqueurs.